L'Allemande Herta Müller, 56 ans, a reçu le prix Nobel de littérature 2009. L'Académie suédoise a salué sa capacité à dessiner "les paysages de l'abandon", celui de la Roumanie de Ceaucescu, son pays de naissance.
L’exil, la cohabitation des cultures, la fuite d’un régime communiste. Les thèmes abordés par l’écriture précise, exigeante d’Herta Müller sont ceux de son vécu, de son enfance dans le Banat - la région germanophone de Roumanie où elle est née en 1953 -, de son départ pour l’Allemagne de l’Ouest à l’âge de 34 ans, de la mémoire persistante de la censure sous la dictature de Ceaucescu.
Lorsque l’Académie suédoise a décerné le prix Nobel de littérature 2009 à Herta Müller, l'institution a salué l'aptitude de l'écrivain à peindre "le paysage des dépossédés (...) avec la concentration de la poésie et l'objectivité de la prose", à dessiner "les paysages de l'abandon".
Poète et romancière, Herta Müller a d’abord été censurée en Roumanie avant de gagner l’estime de la critique occidentale grâce à un recueil de récits, "Bas-fonds", qu’elle avait réussi à diffuser clandestinement hors de son pays natal, en 1984. À l’époque, elle fréquente un groupe d’écrivains germanophones, baptisé "Aktionsgruppe Banat", taxé de "ferment d’opposition", tout en travaillant comme traductrice pour l’industrie automobile. Elle est démise de ce poste pour avoir refusé de collaborer avec les services secrets roumains, la "Securitate".
L'exil et la mémoire
En 1987, avec son compagnon Richard Wagner - qui est, comme elle, un écrivain roumain d’expression allemande -, elle fuit la Roumanie et les harcèlements de la "Securitate" pour rejoindre l’Allemagne de l’Ouest. C’est surtout au début des années 2000 qu’elle se fait connaître du grand public. L’exil n’efface pas les souvenirs, au contraire. Dans ses écrits, qu’ils soient en prose ou en vers, Herta Müller convoque la société roumaine sclérosée par le régime de Ceaucescu.
"L'expérience essentielle de ma vie, a-t-elle eu l'occasion d'expliquer, c'est en Roumanie que je l'ai vécue, sous la dictature. Le fait de vivre à plusieurs centaines de kilomètres de mon pays ne me fera pas oublier ce que j'y ai vécu. En partant, j'ai emporté mon passé et il faut dire que, en Allemagne, la crainte de la dictature est toujours là."
Herta Müller a choisi d'écrire en allemand, sa langue maternelle. "La langue de l'écriture, le haut-allemand, coexistait avec le dialecte, le souabe du Banat, et la langue véhiculaire, le roumain, explique-t-elle. À cela s'ajoutait la langue de bois du régime qui avait détourné le langage à son profit. D'où notre vigilance pour éviter les mots ou les concepts violés ou souillés par le politique. Ils renvoyaient à une réalité qui n'était pas la nôtre. Pour écrire notre réalité, nous devions sans cesse chercher un langage innocent."
"Mon petit jeu avec le roumain"
Ses quelques écrits en roumain sont des poésies composées de collages à partir de journaux et de magazines roumains. ”C’est mon petit jeu avec le roumain", racontait-t-elle dans un entretien à la Radio roumaine internationale en 2007. Je trouve que la langue roumaine se révèle dans toute sa beauté dans son usage quotidien, celui que j’ai appris lorsque je travaillais comme traductrice dans l’industrie automobile."
Sous la plume d’Herta Müller, la Roumanie n’est pas que dictature pétrifiante et opposition politique souterraine. "Je dois dire que j’ai beaucoup plus appris du folklore musical, dit-elle dans ce même entretien accordé à la radio roumaine. La voix de Maria Tanase résonne incroyablement dans mes oreilles. En revanche, le folklore allemand ne m’inspire rien du tout."
Ses derniers livres parus sont "Der Fuchs war damals schon der Jäger" (Le renard était déjà le chasseur, 1998), "Herztier" et "Heute wäre ich mir lieber nicht begegnet" (La Convocation, 2001). Son dernier roman, sorti en août, "Atemschaukel", évoque l'exil des Roumains germanophones vers l'URSS après la guerre. Il a reçu un accueil très favorable de la critique allemande.
Outre le prix Nobel, Herta Müller a déjà été récompensée de nombreux prix littéraires, dont le prix Kleist en Allemagne, en 1994, le prix Impac, en Irlande, ou encore le prix Würth pour la littérature européenne, en 2006. "Je suis étonnée et je n'arrive toujours pas à y croire. Je ne peux rien dire de plus pour le moment", a déclaré la nouvelle lauréate du prix Nobel lorsqu’elle a appris la nouvelle.