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Covid-19 : le plan de relance français mise-t-il sur le trop long terme ?

Contrairement à son voisin allemand, la France n'a pas voulu mettre l'accent sur la consommation pour relancer son économie. Son plan de 100 milliards d'euros, dévoilé jeudi, mise sur l'amélioration de la compétitivité et le soutien aux technologies innovantes. Un effort ambitieux qui mettra du temps à produire ses effets. Trop de temps ?

Il est "vert", tourné vers les entreprises, censé garantir la "cohésion sociale" et doté de 100 milliards d'euros. Le gouvernement français a dévoilé, jeudi 3 septembre, le très attendu effort de relance pour sortir le pays du marasme économique dans lequel la pandémie de Covid-19 l'a jeté.

Ce plan "France relance" va répartir les fonds sur deux ans entre la transition écologique (rénovation thermique des bâtiments, investissements dans les énergies renouvelables), la compétitivité (baisse des impôts pour les entreprises, soutien aux technologies d'avenir), et la "cohésion sociale" dans les territoires (aide à l'emploi des jeunes, investissements dans les infrastructures de santé). Le gouvernement va allouer 35 milliards d'euros à chacun de ces volets.

Plus que l'Allemagne

"En apparence, ce plan coche toutes les bonnes cases", remarque Pascal de Lima, économiste en chef au cabinet de conseil financier Harwell Management, contacté par France 24. L'effort est inédit dans l'histoire française récente par son ampleur. "Il est plus de trois fois plus élevé que le plan de relance appliqué après la crise financière de 2008", rappelle Alexandre Baradez, responsable de l'analyse marché pour le cabinet financier IG France, contacté par France 24. 

Covid-19 : le plan de relance français mise-t-il sur le trop long terme ?

C'est aussi le plan le plus ambitieux en Europe. L'Allemagne a, certes, sorti un plus gros chèque (130 milliards d'euros), mais rapporté à la taille de l'économie, l'effort français est plus conséquent. La France consacre l'équivalent de plus de 4 % de son PIB à la relance, contre 3,7 % pour les Allemands. 

Les 70 mesures dévoilées jeudi forment aussi un ensemble "cohérent" au regard de l'objectif que s'est fixé le gouvernement, juge Alexandre Baradez. Le Premier ministre Jean Castex a assuré, durant sa conférence de presse, que son ambition principale était de soutenir et créer des emplois pour contrebalancer le choc de ceux qui seront inévitablement détruits à cause de la pandémie de Covid-19. "Le gouvernement investit en priorité dans la formation, la transition énergétique et les technologies du futur, ce qui correspond aux emplois de demain", confirme Pascal de Lima, qui s'est penché sur cette question dans son ouvrage "Capitalisme et technologie : les liaisons dangereuses".

Dans la même veine, l'exécutif profite aussi de l'occasion pour entreprendre des "réformes structurelles afin d'améliorer la compétitivité qui peuvent apparaître comme autant d'appels du pied aux investisseurs étrangers", explique Alexandre Baradez. La baisse de l'impôt sur la production des entreprises ou les mesures pour pousser à la relocalisation visent à soutenir des secteurs de l'économie française, comme l'industrie lourde, qui avaient été délaissés au profit du numérique triomphant. L'idée, pour l'analyste financier d'IG France, est de signifier au monde que la France n'est pas qu'une "start-up nation" et que c'est le bon moment de venir investir aussi dans l'industrie, ce qui offre d'autres opportunités de création d'emplois.

Un plan à long terme face à l'urgence économique ?

Mais c'est un plan qui prendra du temps à produire ses effets, "ce qui peut étonner au regard de l'urgence sanitaire et économique", résume Pascal de Lima. Une approche très différente de l'Allemagne, qui a préféré mettre son orthodoxie budgétaire entre parenthèse pour dégainer des mesures de soutien au pouvoir d'achat (baisse de la TVA, chèque famille, etc.), censées produire des effets immédiats. 

Le gouvernement français, quant à lui, n'a pas mis son orthodoxie économique entre parenthèses. "Il poursuit la politique de l'offre [soutien aux entreprises et à la production en priorité, NDLR] qu'il mène depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron", explique Pascal de Lima. 

"Le grand absent de ce plan est le consommateur", reconnaît Alexandre Baradez. Pour lui, le gouvernement mise sur le fait que les Français ont fortement épargné durant le confinement et que cette réserve d'argent sera suffisante pour soutenir la consommation. 

Un pari risqué pour l'analyste financier. D'un côté, "les Français vont avoir l'impression que les mesures annoncées n'ont aucun impact immédiat sur leur quotidien", souligne-t-il. Ce qui, d'un point de vue politique, pourrait se traduire par un mécontentement populaire. De l'autre, il va y avoir "une période difficile à gérer entre le moment où les mesures de soutien à l'économie prises au début du confinement vont prendre fin et celui où les effets du plan de relance vont se faire sentir", assure Alexandre Baradez. Il ne serait pas étonné que le gouvernement se retrouve obligé à prendre des mesures d'urgence supplémentaires si la consommation, finalement, ne repart pas comme espéré.

Mais même à long terme, Pascal de Lima n'est pas convaincu que ce plan fasse l'affaire. S'il présente bien sur le papier, encore faut-il qu'il soit appliqué correctement. "On a déjà connu en 2010 un président qui voulait promouvoir les technologies du futur ; c'était Nicolas Sarkozy et son programme d'investissement d'avenir. Au final, ça n'a pas eu d'effet durable sur la croissance et l'emploi", rappelle Pascal de Lima. Ironiquement, l'ancien président avait, lui aussi, alloué 35 milliards d'euros à cet effort, tout comme le volet du plan "France relance" consacré aux technologies innovantes.