Le Parlement a adopté mardi une proposition de loi visant à mieux protéger les victimes de violences conjugales. Un texte salué par les associations de lutte contre les violences faites aux femmes, qui alertent toutefois sur le manque de moyens empêchant l'application des lois déjà existantes en la matière.
Mieux protéger les victimes de violences conjugales. C'est l'objet de la proposition de loi adoptée, mardi 21 juillet, à l'unanimité par le parlement français. Parmi les mesures phares du texte, l'exception au secret médical en cas de "danger immédiat". Elle autorise le médecin, ou tout autre professionnel de santé, à déroger au secret professionnel lorsqu'il "estime en conscience" que les violences mettent la vie de la victime "en danger immédiat" et qu'il y a situation d'emprise.
"La levée du secret médical, c'est une des avancées de cette loi", reconnaît Zoé Royaux, porte-parole de la Fondation des femmes, interrogée sur France 24. "Il y avait une grande réticence de la part de l'Ordre des médecins en la matière."
En outre, le texte réprime la géolocalisation d'une personne sans son consentement par le biais de logiciel espion. Pour mieux lutter contre les "cyberviolences conjugales", il acte la retenue d'une "circonstance aggravante" en cas de violation du secret des correspondances par un conjoint ou ex-conjoint.
La loi prévoit aussi d'alourdir les peines en cas de harcèlement au sein du couple, les portant à 10 ans d'emprisonnement lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.
Pas assez de policiers pour traiter les demandes
Pour Fabienne El-Khoury, porte-parole d'Osez le féminisme, entendue sur France 24, "c'est une bonne initiative, mais ça n'est pas suffisant pour faire baisser les chiffres". Pas moins de deux femmes ont été assassinées la semaine dernière par leurs conjoints violents. Le premier, un gendarme, est soupçonné d'avoir tué son épouse en lui tirant dessus à plusieurs reprises avec son arme de service, le second aurait mis fin aux jours de sa compagne par étranglement.
Depuis début 2020, au moins 39 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint, selon un décompte réalisé par l'AFP. Un nombre en recul par rapport à l'année précédente, mais les associations y voient surtout une conséquence du confinement, beaucoup de féminicides étant commis lorsque la femme veut partir. L'AFP avait recensé quelque 70 décès entre janvier et juillet en 2019 et au moins 126 cas sur toute l'année.
"C'est bien de voter des lois, mais nous avons besoin de plus de moyens pour former la justice, la police, ainsi que les professions médicales", réagit Fabienne El-Khoury, estimant que de nombreuses questions restent en suspens sur les budgets alloués aux mesures annoncées. "Au quotidien, la justice manque d'effectifs et de moyens. Il en est de même pour la police. Les policiers ne sont pas encore suffisamment formés : les plaignantes ne sont toujours pas correctement reçues et la police manque d'effectifs en nombre suffisant pour traiter l'ensemble des demandes", souligne la militante.
Des mesures votées, mais pas appliquées
Le texte de loi voté mardi constitue le deuxième volet législatif en quelques mois d'un arsenal qui se veut offensif dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Il suit le Grenelle des violences conjugales piloté à l'automne 2019 par Marlène Schiappa, alors secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes et à la Lutte contre les discriminations.
Si les associations de terrain restent sceptiques, c'est parce que nombre de mesures votées par la précédente loi n'ont toujours pas été appliquées, au rang desquels la généralisation du bracelet antirapprochement contre les conjoints et ex violents. Le dispositif, largement utilisé en Espagne, a déjà sauvé de très nombreuses vies.
Promis pour janvier 2020, le bracelet antirapprochement sera opérationnel en septembre, a assuré le nouveau garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.
En retard dans la lutte contre les violences faites aux femmes
"Le gouvernement fait beaucoup d'effets d'annonce, mais ne suit pas en allouant les budgets nécessaires pour faire appliquer les lois qu'il propose", déplore Fabienne El-Khoury. Un avis partagé par Zoé Royaux, porte-parole de la Fondation des femmes : "Dix mois ont passé depuis le Grenelle [des violences conjugales], on nous avait annoncé des mesures immédiates et concrètes telles que les bracelets électroniques ou l'extension du 3919 [numéro d'appel d'urgence pour les femmes victimes] 24 heures sur 24". Mais les associations de lutte contre les violences faites aux femmes attendent toujours leur mise en application.
L'extension des horaires de la ligne d'appel 3919, prévue d'ici la fin 2020, a pris du retard, à cause de l'attribution du marché public, mais aussi parce qu'il a fallut trouver des locaux plus grands afin d'accueillir la plateforme téléphonique. Or, pour les associations, il y a urgence. Actuellement, ce numéro ne fonctionne que jusqu'à 22 h en semaine et 18 h le week-end. Ces heures d'ouverture limitées privent les femmes qui voudraient appeler la nuit et les victimes de violences dans les dom-tom, qui auraient besoin d'une aide urgente en horaires décalées.
"On n'est pas en avance, donc on ne va pas non plus se féliciter !", estime Zoé Royaux, qui rappelle qu'un certain nombre de mesures adoptées mardi ont été recommandées par une convention européenne, la convention d'Istanbul, ratifiées en 2014 par la France. Elle préconise notamment le droit pour la police de contrôler le permis de port d'armes pour les hommes soupçonnés de violences conjugales ou encore l'interdiction pour les juges aux affaires familiales de proposer des médiations familiales en cas de violences conjugales pour éviter une éventuelle emprise du conjoint.
Avec AFP