Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a accepté de jouer le rôle de méchant dans les négociations sur le plan de relance européen en prenant la tête du groupe des "frugaux", ces États opposés à trop de solidarité financière pour les pays du sud de l’Europe particulièrement touchés par la crise du Covid-19.
ll est l'incontestable vainqueur médiatique du marathon des négociations européennes sur le plan de relance, qui se poursuivaient lundi 20 juillet, quatrième jour des pourparlers à Bruxelles. Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, s'est imposé comme l'homme qui a réussi à tenir tête à la France et l'Allemagne, pour une fois d'accord sur la nécessité de dépenser sans compter pour surmonter la crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19.
Mark Rutte s'est hissé au rang de porte-parole informel du groupe des "frugaux", ces quatre pays (Pays-Bas, Autriche, Suède et Danemark) qui veulent réduire le montant du plan de relance (de 750 milliards d'euros à 700 milliards) et, mettre davantage l'accent sur les prêts plutôt que des transferts directs de fonds aux pays les plus affectés par le coronavirus.
Des surnoms à la pelle
Le rôle de leader du front du refus que Mark Rutte a accepté de jouer lui a valu le surnom de "Mr no, no, no" à Bruxelles. Il lui vient notamment d'une vidéo qui circule sur YouTube, où le Premier ministre néerlandais répond par un tonitruant "non, non, non" à un ouvrier lui demandant de ne pas donner plus d'argent à l'Espagne et à l'Italie.
C'est aussi un nouveau surnom pour un homme politique qui semble les collectionner. On l'a aussi surnommé "Mister Flexible" – illustrant sa capacité à mettre de l'eau dans son vin politique afin de former des coalitions pour rester au pouvoir – ou encore "Teflon Mark", parce que les problèmes politiques et les scandales semblent ne jamais lui coller à la peau.
Mais cette galerie de petits noms ne permet pas d'appréhender réellement la complexité d'une personnalité politique qui se maintient au pouvoir au Pays-Bas depuis 2010, tout en gagnant peu à peu en influence à Bruxelles.
Mark Rutte, né en 1957, a rejoint à l'âge de 16 ans les rangs des jeunes libéraux néerlandais, abandonnant alors ses ambitions de faire une carrière de pianiste. Il devient rapidement un jeune talent du Parti populaire pour la liberté et la démocratie de centre-droit, et mène en parallèle une carrière au sein des relations humaines du géant américain de la distribution Unilever.
En 2002, il occupe son premier portefeuille ministériel, en tant que secrétaire d'État aux Affaires sociales et à l'Emploi. Quatre ans plus tard, il prend la tête de son parti et, encore, quatre ans plus tard, il devient le premier chef de gouvernement libéral du pays en près d'un siècle.
Le choc du Brexit
Depuis lors, il gouverne avec qui veut bien le soutenir, que ce soit l'extrême-droite de Geert Wilders au Parlement, les sociaux-démocrate du Parti travailliste au gouvernement ou, depuis 2017, une coalition de quatre partis plutôt conservateurs.
Sa capacité à trouver des compromis sur la scène politique nationale est devenue presque proverbiale. Elle tranche, en tout cas, avec l'inflexibilité dont il semble faire preuve sur la scène européenne.
Mais en fait, les deux sont liés. "La position de Mark Rutte à Bruxelles est un peu celle d'un homme qui parle deux langues. Il est un européen convaincu et le fait savoir, mais en même temps, il sait qu'il a une marge de manœuvre très étroite s'il ne veut pas perdre sa majorité chez lui", explique à Politico Ton Elias, un allié politique néerlandais de longue date.
La pression interne est d'autant plus forte que les prochaines élections générales sont prévues pour mars 2021, et que l'extrême droite joue la surenchère à la fois sur le thème de l'immigration et celui d'une Europe qui coûterait trop cher aux contribuables néerlandais.
Mark Rutte n'endosse pas l'armure du chevalier blanc d'une Europe économe, même en temps de crise sanitaire, pour soigner seulement sa popularité au Pays-Bas. Un autre événement explique pourquoi le Premier ministre néerlandais accepte ainsi de passer pour le "Père la rigueur" de l'Union européenne : le Brexit. La sortie du Royaume-Uni de l'UE "a fait réaliser aux Néerlandais qu'ils perdaient l'un de leurs principaux alliés libéraux à Bruxelles, derrière lequel ils aimaient se réfugier pour contrer les revendications des pays du sud de l'Europe", souligne le Berlin Policy Journal, un magazine allemand spécialisé dans les questions diplomatiques.
Des visions différentes de l'Europe
Mark Rutte a ainsi perdu Londres et ne peut plus compter sur Angela Merkel qui, à l'occasion du plan de relance, semble s'être rangée dans le camp des pays, comme la France, appelant à plus de solidarité et de fédéralisme en Europe. Et c'est tout le problème pour le Premier ministre néerlandais : il juge que l'UE est trop diverse pour se permettre une plus forte intégration politique.
Il ne s'en est jamais caché. Lors d'un discours à Berlin en mars 2018, il avait ainsi appelé à "arrêter de considérer que l'Union européenne était un train qui fonçait à toute vitesse vers le fédéralisme". Pour les Néerlandais, c'est un danger car "il y a un groupe d'États de plus en plus nombreux en Europe qui ne veulent pas jouer selon les règles et qui risquent de vider de leur substance le projet européen si on va vers plus d'intégration politique", a expliqué à Politico Pieter Omtzigt, un membre de l'Appel chrétien-démocrate, un parti conservateur allié de Mark Rutte au gouvernement.
Il ne fait pas référence seulement aux pays du Sud, régulièrement accusés par ceux du Nord de dépenser trop. C'est aussi une critique contre des États comme la Pologne et la Hongrie, qui mènent des politiques populistes jugées par les Néerlandais incompatibles avec les valeurs de l'UE.
À cet égard, un aspect peu médiatisé de la bataille qui se déroule actuellement à Bruxelles autour du plan de relance illustre bien cette posture de défenseur de valeurs européennes de Mark Rutte. Les "quatre frugaux" veulent en effet lier l'aide financière que l'UE pourra fournir aux États membres au respect de "certaines valeurs démocratiques". Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, ne s'y est pas trompé, accusant Mark Rutte de mener "une vendetta personelle" contre lui et son pays.
Ce n'est donc pas uniquement pour une question de gros sous que Mark Rutte accepte de passer pour le méchant de l'histoire, opposé à plus de solidarité avec les pays les plus durement touchés par la crise sanitaire et économique. Il juge que ce plan remet fondamentalement en cause sa vision libérale – à la fois économiquement et politiquement – de l'Union européenne.