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Après la pandémie de Covid-19, l'heure est à la réflexion sur le "monde d'après". Pour ses défenseurs, l'heure est venue pour un revenu universel qui permettrait de protéger économiquement les citoyens face aux crises. Le gouvernement espagnol est devenu vendredi le premier d’Europe à faire un pas vers celui-ci.
Un spectre hante l'Europe, le spectre du revenu universel. Face à la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19, l'idée d'un revenu de base versé à tous les citoyens fait son chemin pour répondre à la grave récession que beaucoup prédisent.
Vendredi 29 mai, l'Espagne, un des pays européens avec le plus fort taux de pauvreté, a fait son premier pas vers celui-ci. Le gouvernement espagnol a approuvé la création d'un revenu minimum vital qui sera versé aux plus pauvres. La question d’un revenu universel était au cœur de l’accord de coalition conclu entre les socialistes et le parti de gauche radicale, Podemos.
"Un nouveau droit social est né aujourd'hui en Espagne", s'est félicité Pablo Iglesias, vice-président du gouvernement et dirigeant de Podemos, à l'issue du conseil des ministres, soulignant que la crise avait "accéléré l'entrée en vigueur" de cette première étape vers un revenu universel.
Nace el #IngresoMinimoVital, que permitirá que millones de personas miren al futuro sin miedo. Es el mayor avance en derechos sociales en España desde la Ley de Dependencia de 2006. pic.twitter.com/9n1ks3XRsh
— Pablo Iglesias ???? (@PabloIglesias) May 29, 2020Pour ses défenseurs, un revenu de base présente l'avantage de protéger les plus vulnérables face aux incertitudes économiques dont la crise sanitaire actuelle représente un exemple tout en stimulant la consommation. Elle permet également de soutenir ceux qui sont exclus des filets de sécurité actuels comme les auto-entrepreneurs, les salariés à temps partiels ou encore les travailleurs du secteur informel.
L'idée progresse en Europe
La réflexion espagnole est loin d'être un cas isolé en Europe. En Écosse, la Première ministre Nicola Sturgeon l'a publiquement évoqué lors d’un briefing sur le coronavirus à Édimbourg : "Le moment est venu pour le revenu universel de base", a-t-elle déclaré. Elle a fait part de "discussions constructives" avec le gouvernement britannique sur ce sujet, l'Écosse n'ayant pour le moment pas autorité sur cette question.
En Italie, le Mouvement 5 Étoiles, au pouvoir depuis 2018, avait fait campagne sur l'instauration d'un revenu de base universel d'un montant conséquent pour tous les Italiens. Devant l'état des finances italiennes, elle a opté pour un "revenu de citoyenneté", une allocation d'aide aux plus pauvres.
En France, la question du revenu universel avait fait son entrée dans le débat politique, portée par Benoît Hamon lors de la primaire socialiste puis l'élection présidentielle de 2017. Si les scores désastreux de l'ancien député auraient pu contribuer à enterrer l'idée, elle continue d'être défendue.
La fondation Jean-Jaurès, think tank aux idées proches du parti socialiste, a retravaillé l'idée et ressort la proposition comme protection face à la crise économique : elle propose un revenu inconditionnel, automatique à compter de la majorité, dégressif et d'un montant compris entre 725 et 1 000 euros par mois. D'autre part, 80 personnalités politiques et civiles ont signé, le 4 mai, un appel à la mise en place d'un "socle citoyen". La Corse souhaite de son côté l'expérimenter sur son territoire.
Une étude de l'université d'Oxford montre que 70 % des Européens soutiennent le concept du revenu universel de base.
Et hors du vieux Continent, l'idée commence à faire recette. Le pape François lui-même en a défendu l'idée dans une lettre adressée à ses "frères et sœurs des mouvements populaires" le 12 avril. Aux États-Unis, pour maintenir l'économie sous perfusion, l'administration républicaine de Donald Trump a inclus des versements directs en liquide allant jusqu'à 3 000 dollars par famille.
Ces expérimentations ne sont pas stricto sensu des revenus universels de base, dans la mesure où elles s’adressent exclusivement aux travailleurs ou aux ménages pauvres et qu'elles ont un caractère pour le moment temporaire ou ponctuel. Néanmoins, en réduisant le poids des contrôles sous les allocataires, ces expérimentations renforcent l'idée d'une faisabilité du revenu universel de base.
L'expérimentation finlandaise non reconduite
La Finlande est sans doute le pays où l'expérimentation est allée le plus loin. Du 1er juin 2017 au 31 décembre 2018, 2 000 chômeurs ont reçu 560 euros chaque mois sans aucune contrepartie. Ce revenu pouvait être cumulé avec des allocations familiales et des salaires en cas de reprise d’emploi.
La sécurité sociale finlandaise a rendu ses conclusions le 6 mai dernier, en comparant avec un groupe témoin de chômeurs n'en ayant pas bénéficié. Les bénéfices du revenu de base finlandais sont davantage d'ordre psychologique qu'économique : 55 % des participants à l’expérience ont déclaré se sentir en bonne ou en très bonne santé, contre 46 % dans le groupe témoin. Les bénéficiaires affichaient également de niveau de stress inférieur à ceux du groupe témoin. Cependant, l'effet fut moindre sur la reprise d''emploi : 43,7 % des bénéficiaires ont retrouvé un travail, contre 42,8 % dans le groupe témoin. Un résultat qui désamorce néanmoins la critique classique et à courte vue d'un chômeur sombrant dans l'assistanat avec ce nouveau revenu.
Malgré ces résultats encourageants, le gouvernement finlandais a choisi de ne pas pérenniser l'initiative en raison de l'effet trop faible sur la diminution du chômage et craignant une hausse du déficit en cas de sa généralisation.
L'argent, le nerf de la guerre pour le revenu universel
C'est par l'argent que le bât blesse. L'instauration d'un revenu universel de base, comme toutes les prestations sociales, nécessite un investissement de la part des gouvernements.
"Dans le scénario de crise qui se dessine devant nous, je ne vois pas comment un gouvernement se lancerait dans une logique de revenu universel, avec la pression des marchés financiers, des banques et des organisations financières internationales sur les budgets des pays", regrettait Joan Cortinas-Munoz, chercheur au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po Paris et spécialiste des politiques sociales en Espagne, interrogé en avril par France 24
En 2017, l'OCDE avait ainsi estimé que pour qu'un revenu universel ne pèse pas sur les finances publiques, son montant devrait s'élever à 527 euros pour la Finlande, 158 euros en Italie, ou encore à 456 euros en France. Loin, cependant, des seuils de pauvreté respectifs de ces pays.
Les critiques ne viennent pas tous des partisans du libéralisme. Pour une partie de la gauche, le revenu universel constitue un cheval de Troie pour une vision libérale de la société. Un revenu universel pourrait être utilisé pour libéraliser davantage le marché de l'emploi : la société assurant un revenu minium, les employeurs en profiteraient pour baisser les salaires. Pour ces critiques, le revenu universel serait un dévoiement de la sécurité sociale.
"Dans sa conception libérale, le revenu universel est censé remplacer la protection sociale (couverture maladie, allocation logement…). Or celle-ci est essentielle comme autant de filets de sécurité pour éviter de tomber dans l’extrême pauvreté", note ATD Quart Monde.
L'idée reste cependant porteuse d'espoir pour ses défenseurs. Si l’épidémie de Covid qui secoue la planète accouche d’un "monde d’après", alors le revenu universel pourrait bien en être le premier germe.