Pour les rescapés confinés, le "jour du souvenir pour la Shoah" sera numérique cette année. Un avant-goût d'un futur où les survivants du nazisme ne seront plus que des hologrammes.
Alors que le monde est confronté à la pandémie de nouveau coronavirus, les rescapés de la Shoah, confinés, s'apprêtent à marquer, lundi 20 et mardi 21 avril, le premier "jour de la Shoah" numérique.
Enfant cachée pendant la Seconde Guerre mondiale, Berthe Badehi se claquemure chez elle pour échapper au Covid-19. À 88 ans, elle se rendait encore chaque jour à Yad Vashem, mémorial israélien dédié aux millions de victimes du génocide des juifs par l'Allemagne nazie, afin d'y faire du bénévolat. Mais la pandémie l'a forcée à rester chez elle.
"J'ai appris à prendre soin de moi"
Confinement et distanciation sociale obligent, Yad Vashem a fermé ses portes au public. Le lieu ne tiendra aucun événement in situ pour Yom Hashoah, le "jour de la Shoah", qui se tient en Israël du coucher du soleil lundi jusqu'à la tombée de la nuit mardi.
L'événement sera vécu de la même manière dans de nombreuses villes du monde où les rescapés du nazisme luttent pour leur survie face au virus, qui fauche principalement les personnes âgées.
"On a vécu des choses difficiles dans notre vie. En France, pendant la guerre, on cachait notre identité, on vivait dans la peur et on avait perdu le contact avec nos parents", souffle Berthe Badehi. "Aujourd'hui, on est enfermés, mais avec le téléphone, Internet (...), on a le contact avec nos enfants et petits-enfants."
"C'est pas facile, mais on le fait pour rester en vie. Ce que j'ai appris de la guerre, c'est de savoir prendre soin de moi seule", dit-elle à l'AFP.
"Indécent de comparer le 'corona' à la Shoah"
Les enfants cachés et les survivants des camps de la mort ne s'attendaient pas à devoir se murer ainsi pour survivre, au bout de leur vie. Mais ils n'acceptent pas la comparaison entre le confinement anxiogène actuel et la vie sous les nazis.
"C'est indécent de comparer le 'corona' à la Shoah, ça n'a rien à voir", tranche Dov Landau, 91 ans, rescapé du camp d'Auschwitz. "Aujourd'hui, on n'a ni faim, ni soif, on ne risque pas d'être brûlés vifs, hommes, femmes et enfants. Oui, je m'ennuie, je ne peux plus ni voyager ni faire mes courses, mais ce n'est rien de grave", affirme-t-il.
Témoignage par visioconférence
À l'occasion de Yom Hashoah, Shmouel Blumenfeld, 95 ans, lui aussi rescapé d'Auschwitz, témoignera de son expérience personnelle par visioconférence, depuis chez lui, en banlieue de Tel Aviv, auprès de membres d'une association israélienne.
Cette année sert de test avant le jour où les derniers survivants auront disparu et où il ne restera que leurs témoignages pour transmettre la mémoire de la Shoah aux générations futures.
Des organisations recueillent depuis des années des témoignages vidéo de survivants afin de se préparer à ce "jour 0". Par ailleurs, face à la crise sanitaire, le mémorial de Yad Vashem a préenregistré une cérémonie avec des témoignages et des discours de personnalités politiques, qui sera diffusée lundi soir sur les chaînes israéliennes et sur Facebook.
Ce soir à 20h heure israélienne (19h heure française), suivez la cérémonie officielle d'ouverture de #YomHashoah sur le site de #YadVashem. Au programme : allocutions officielles, parcours des six rescapés qui allumeront les flambeaux de la mémoire...
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Des survivants "ne pourront jamais raconter leur histoire"
Eli Rubenstein, un des organisateurs de la "Marche des vivants" en Pologne, travaille de pair avec la Fondation de la Shoah sur un programme permettant de recréer le parcours de survivants en utilisant des technologies de réalité virtuelle et des hologrammes.
Cette année, après cette marche, cinq survivants devaient rester en Pologne pour permettre aux équipes de filmer leur périple à travers l'Europe et de le recréer dans une application en réalité augmentée.
Parmi ces cinq survivants : Eva Schloss, la belle-fille d'Otto Frank, le père d'Anne Frank.
"Eva est en vie, son histoire est extraordinaire, très similaire à celle d'Anne Frank, à la différence qu'elle a survécu", raconte Stephen Smith, président de la Fondation de la Shoah basée aux États-Unis. "Nous devions aller à Vienne, Amsterdam et Auschwitz avec elle mais nous avons dû tout abandonner" à cause du virus.
"Le Covid-19 attaque la mémoire de la Shoah car il s'en prend aux personnes âgées. Je connais de nombreux survivants qui sont décédés des complications du coronavirus", a-t-il déclaré à l'AFP.
Le Covid-19 limite également la capacité à recueillir les témoignages des derniers survivants. "Nous avons dû annuler tous nos entretiens", regrette Stephen Smith. "Il y a donc des gens qui ne pourront jamais raconter leur histoire."
Avec AFP