Après deux échecs aux municipales de Perpignan, Louis Aliot rêve de décrocher la mairie lors des scrutins des 15 et 22 mars. Plombée par le chômage et les problèmes de sécurité, la ville de 120 000 habitants pourrait être la plus belle prise du Rassemblement national.
La gare de Perpignan (Pyrénées-Orientales) s'est longtemps vue comme "le centre du monde", selon l'expression de Salvador Dali qui voyait en elle la source "des idées les plus géniales de [s]a vie". Aujourd'hui rénovés et épurés, le hall ocre et son parvis ne semblent plus susciter la même inspiration. "C'est devenu une gare anonyme, sans âme", se désole Joseph*, un des commerçants du quartier. La statuette à l'effigie du peintre catalan a même été retirée. En dix ans, le quartier a perdu ses touristes et son dynamisme, laissant place à la délinquance et au trafic de drogue. Dans ce secteur, le Rassemblement national affiche un de ses plus gros scores sur toute la ville, avec plus de 50 % des voix lors des dernières municipales, en 2014 et législatives en 2017.
Après deux tentatives infructueuses aux municipales de 2008 et 2014, Louis Aliot rêve de prendre sa revanche sur le maire sortant Jean-Marc Pujol (Les Républicains, LR), lors du prochain scrutin dont le premier tour aura lieu le 15 mars. Depuis plusieurs mois, le député des Pyrénées-Orientales élu en 2017 fait la course en tête dans les sondages. Début mars, il était crédité de 16 points de plus que son rival, qui récoltait 19 % des intentions de vote. En troisième position se disputent la liste Europe Écologie Les Verts - Parti socialiste, conduite par la vice-présidente du conseil régional Agnès Langevine, et la liste La République en marche (LREM) menée par le député Romain Grau (15 % chacune).
Décrocher une municipalité de plus de 120 000 habitants, détenue par la droite depuis 1959, serait un beau trophée à brandir pour le Rassemblement national de Marine Le Pen. Ce n'est pas arrivé depuis Toulon en 1995.
"Pujol a tué les petits commerces"
"Nous, les commerçants du quartier, on vote Louis Aliot", lâche sans détour Jean*, vendeur de l'avenue de la gare. Il ne mâche pas ses mots quant au bilan du maire sortant. "C'est lui qui a tué les petits commerces en installant les zones commerciales périphériques", assure-t-il, en pointant du doigt également "la mauvaise rénovation" urbaine qui a drastiquement réduit le nombre de places de stationnement. "En dix ans, les quatre boulangeries de la rue ont fermé, mais aussi les boucheries et les deux bureaux de tabac", précise le septuagénaire qui n'arrive pas à vendre sa boutique pour partir à la retraite. Dans la rue qui mène à la gare, seuls 20 des 90 commerces n'ont pas baissé le rideau.
Les hôtels du quartier ont, eux aussi, perdu leur clientèle. "Avec la nouvelle gare, les voyageurs qui sortent du TGV sont redirigés vers l'arrière, où se trouvent l'enseigne Kyriad et la chaîne d'appart-hôtel", regrette Joseph, avant d'ajouter : "Pendant huit mois de l'année, c'est mort pour nous".
Conséquence : le quartier se paupérise, à l'image de la ville devenue, en 2014, la cinquième la plus pauvre de France, avec un taux de chômage dépassant les 25 %. Selon une étude menée sur la ville de Perpignan, publiée en février, 32 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. "L'emploi et le développement économique" font figure d'enjeu majeur (51 %) aux yeux des électeurs interrogés début janvier dans le cadre d'un sondage Ifop-Semaine du Roussillon-Sud Radio. Viennent ensuite la "sécurité des biens et des personnes" (48 %) et "la propreté et l'entretien de la ville" (44 %).
Au quotidien, les commerçants du quartier sont aussi confrontés à la délinquance. "Chaque année, je perds environ 1 500 euros à cause des vols", estime Jean. À côté de lui, une cliente qui tend l'oreille acquiesce avec sa canne : "Il y a de plus en plus de cambriolages et de drogue autour de la gare".
Dans la pension de Joseph, deux jeunes d'à peine 17 ans, en jogging et baskets, entrent pour réserver une chambre pour la nuit. "Ce sont des dealers, mais comme on n'a plus de touristes, on n'a pas d'autre choix que de les prendre", se défend-il.
"Avec Louis Aliot, on peut passer aux actes"
Voter Louis Aliot sera une première pour Jean, qui parle de "choix par dépit", à l'instar de Joseph qui plaide pour un "tout sauf Pujol". "Il est temps de changer les choses. On a besoin d'un homme fort, tranche l'hôtelier. Avec lui, on peut passer aux actes."
Militant au Front national depuis trente ans, le candidat RN se présente dans l'ancienne capitale des rois de Majorque sans afficher l'étiquette de son parti. À l'origine de la dédiabolisation du Front National, aujourd'hui devenu Rassemblement national, l'ancien compagnon de Marine Le Pen continue dans cette stratégie en ouvrant sa liste à des profils variés, comme la LR Patricia Fourquet.
Dans son discours, Louis Aliot ne manque jamais de rappeler les origines pied-noires de sa mère et juives de son grand-père. Pour tenter de courtiser l'électorat du quartier Saint-Jacques, où cohabitent les communautés gitane et maghrébines et où il peine à s'implanter.
Aux abords du marché populaire de Cassanyes, le trafic de drogue est bien ancré, notamment dans un immeuble HLM de la rue adjacente. Début mars, un vaste coup de filet a été mené pour neutraliser des trafiquants. "Plusieurs fusillades ont eu lieu entre deux bandes rivales depuis le début de l'année, dont une sur la place du marché", raconte Nick Gimenez, l'un des leaders de la communauté gitane qui ne quitte jamais sa casquette. "La tension est très vive par ici. On a dû intervenir et alerter les candidats", poursuit celui qui fait office de juge de paix dans le quartier, avant de reconnaître : "Seul Louis Aliot a fait le déplacement".
Le vote gitan acquis à la droite
Depuis plusieurs générations, la communauté gitane, qui concentre environ 5 000 personnes à Saint-Jacques, est acquise à la droite. Selon le géographe David Giband, le maire historique Paul Alduy (1959-1983) aurait mis en place "un système clientéliste échangeant des avantages personnels contre le vote massif en sa faveur". En 2007, une journaliste du New York Times, Fernanda Eberstadt, révélait, dans un ouvrage intitulé "Le Chant des Gitans", que l'équipe municipale achetait le vote gitan à coup "de scooters, de frigo et de mobylettes". "C'est complètement faux, on n'a jamais rien eu", rétorque Nick Gimenez, adossé à un mur de la place Puig qui lui sert de repère.
Pour autant, le patron des gitans votera Pujol, "un ami de trente ans". Durant 37 ans, il a travaillé au service propreté de la municipalité, tout en assurant la sécurité dans le quartier. Pour lui, la ville est "le seul employeur de communauté". "On ne nous considère pas, on a l'impression d'être français seulement avant les élections", assure-t-il.
Dans le quartier, aux ruelles étroites et délabrées, les habitants circulent entre les cadavres de bières et les voitures amputées de leur rétroviseur. Des immeubles insalubres et tagués laissent entrevoir des matelas gisant à même le sol, des murs moisis et une électricité défaillante. Le taux de chômage atteint les 83 %, la moitié des habitants touche le RSA et les enfants sont vaguement scolarisés.
Reste que les gitans font figure de vote clé dans la carte électorale et tous les candidats qui défilent le dimanche au marché le savent bien.
Cette année, plusieurs gitans ont été invités dans un restaurant de la ville par l'équipe de Romain Grau, selon le magazine Marianne, qui évoque des flyers distribués sur la place du marché. "Ces pratiques ont toujours existé", finit par reconnaître le chef des gitans. "C'est mon neveu 'Nounours' qui y est allé et s'est affiché sur les réseaux sociaux", reconnaît-il avant d'ajouter : "Ça ne veut pas dire qu'ils vont voter pour eux".
De son côté, Louis Aliot pourrait, dit-on, gagner des voix dans le quartier. Réussira-t-il pour autant à percer le plafond de verre ? En 2014, il était arrivé en tête avant de se heurter au front républicain lors du second tour. "Il n'a pas de réserve de voix", assure Nick Gimenez, ajoutant que le report des voix lors du second tour devrait avant tout bénéficier aux partis de droite ou de gauche. Mais pour lui, le scénario est déjà tout tracé : "Au second tour, Pujol bénéficiera des voix de Grau et l'emportera".
* Les prénoms ont été modifiés
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