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Shiori Ito, la figure de proue de #MeToo au Japon, remporte un procès au civil

La journaliste Shiori Ito a obtenu gain de cause, mercredi, après avoir exigé réparation pour avoir été, selon elle, violée il y a plusieurs années par un journaliste d'une chaîne de télévision privée nippone, également proche du Premier ministre Shinzo Abe.

Le mouvement #MeToo va-t-il s'imposer au Japon ? Le tribunal de Tokyo a octroyé, mercredi 18 décembre, des dommages et intérêts à la journaliste Shiori Ito qui exigeait réparation pour avoir été, selon elle, violée il y a plusieurs années par un responsable de chaîne de télévision privée. "Nous avons gagné, il a été débouté, c'est une étape importante", a-t-elle estimé devant les caméras à la sortie du tribunal, entourée de ses défenseurs.

"Nous avons pu présenter des témoignages qui ont été entendus par la cour civile", s'est-elle félicitée, brandissant ensuite une bannière où étaient inscrits les kanji (idéogrammes) signifiant une victoire judiciaire. "Honnêtement, je ne réalise pas encore", a-t-elle ajouté, tout en espérant que la décision du tribunal puisse contribuer à changer la situation pour les femmes victimes de viol au Japon, jugeant "arriéré" l'environnement social et légal actuel.

Le juge a ordonné à son agresseur présumé le paiement de 3,3 millions de yens (27 500 euros) de dommages à la jeune femme, environ un tiers de la somme qu'elle réclamait. Une partie de ce montant est destiné à couvrir les frais d'avocat. Le journaliste Noriyuki Yamaguchi a réfuté de nouveau toute faute et annoncé, lors d'une conférence de presse, qu'il allait immédiatement interjeter appel.

Une action civile

"Le fait que les médias nationaux et internationaux aient relayé uniquement la version de Shiori Ito a pu influencer le tribunal", a-t-il aussi déclaré. 

Dans le jugement, il est précisé que la jeune femme a "été forcée d'avoir une relation sexuelle non protégée tout en étant dans un état inconscient". Pour autant, l'homme n'est pas pénalement poursuivi. Une enquête avait été ouverte mais a été ensuite classée sans suite. L'action civile a donc été engagée par Shiori Ito en désespoir de cause.

Alors que débutait dans le monde le mouvement #MeToo, celle que l'on n'appelle souvent plus que par son prénom au Japon a secoué la société nippone en affirmant avoir été violée en 2015 à Tokyo dans une chambre d'hôtel par Noriyuki Yamaguchi, journaliste vétéran d'une chaîne de télévision privée, qui lui faisait miroiter un poste aux États-Unis, où lui-même se trouvait.

Selon Mme Ito, son agresseur présumé l'a probablement droguée, alors qu'ils dînaient ensemble dans un restaurant, pour ensuite abuser d'elle. Shiori, aujourd'hui âgée de 30 ans, a rendu son histoire publique en parlant à la presse et dans un livre titré "Black Box" ("boîte noire").

Une démarche peu commune au Japon

Mais sa démarche, peu commune dans l'archipel où les victimes de viol se taisent, l'a, au moins momentanément, forcée à l'exil, car elle a brisé un tabou. Ses actions pour obtenir un procès pénal ont été selon elles stoppées juste avant l'interpellation prévue de Noriyuki Yamaguchi, en raison des liens qu'il entretient dans les hautes sphères.

Le journaliste est entre autres le biographe du Premier ministre Shinzo Abe. Il a également porté plainte à l'encontre de la jeune femme, réfutant les accusations de viol et estimant avoir été diffamé, mais n'a pas obtenu gain de cause.

Sa version à lui est que la jeune femme était totalement ivre et incapable d'aller où que ce soit seule après le dîner, d'où le fait qu'il l'ait ramenée à l'hôtel où il séjournait. Il aurait, dit-il encore, répondu à ses avances. Il reconnaît donc la relation sexuelle, mais estime qu'elle était mutuellement consentie.

Les deux protagonistes doivent s'exprimer séparément lors de plusieurs conférences de presse mercredi et jeudi. En dépit des initiatives fortes de Shiori Ito, le mouvement #MeToo n'a pas connu une grande ampleur au Japon où la législation sur le viol, datant de plus d'un siècle, n'a été amendée à la marge que récemment.

Shiori a aussi souligné combien les structures étaient inadaptées, qu'il s'agisse de l'accueil, dans les cabinets médicaux, des femmes violées ou du manque d'attention à leur encontre auprès des forces de l'ordre.

Interrogée par France 24 en 2018, la journaliste expliquait : "Si notre système juridique fonctionnait correctement, je n'aurais pas eu à partager publiquement mon histoire. Mais j'ai dû le faire pour interpeller la société japonaise sur ses manquements en matière de justice et d'accueil des femmes victimes de violences."

Avec AFP