La mobilisation contre la réforme des retraites se poursuit, mardi, avec une seconde grande manifestation parisienne. Aux côtés des cheminots, beaucoup d’enseignants manifestent, comme Samuel Serre, professeur de lycée farouchement opposé au projet de l'exécutif.
C’est le deuxième acte de la mobilisation contre la réforme des retraites. Mardi 10 décembre, les syndicats sont à nouveau dans la rue pour s’opposer au projet du gouvernement Philippe. L’exécutif affirme que ce système universel à points vise à mettre fin aux nombreux régimes spéciaux dans un souci de "justice". Ses opposants, nombreux, fustigent au contraire un projet inégalitaire.
Après 2003 et 2010, Samuel Serre, 48 ans, en est à sa troisième grève contre une réforme des retraites. "À chaque fois c’est la même histoire, nos dirigeants ne bougent pas, ils font la sourde oreille alors qu’il y a des milliers de personnes dans la rue", explique-t-il. "Mais cette fois on sent que c’est différent, la mobilisation se fait bien plus en amont et elle est vraiment massive. Chez nous, dans le 92 (le département des Hauts-de-Seine à côté de Paris, NDLR), on a eu jusqu’à 80 % de grévistes dans certains secteurs, en 25 ans de carrière je n’ai jamais vu ça !"
Professeur dans un lycée à Boulogne-Billancourt, Samuel est prêt pour la nouvelle journée de manifestation mardi après avoir déjà été dans la rue le 5 décembre dans le cortège de la CGT – dont il est un membre actif. Une manifestation "monstre", selon lui, malgré les problèmes de transport : "On a des copains qui sont venus en vélo depuis loin, Meudon-la-Forêt par exemple, l’ambiance était bonne. Déterminée mais positive."
"Travailler plus pour gagner moins"
Enseignant aguerri et syndiqué de longue date, Samuel fait partie des premiers mobilisés contre le projet du gouvernement. "En fin d’année scolaire, les premières informations ont fuité et on a vu qu’ils voulaient basculer d’un système de solidarité vers un système à points. Déjà ça nous renvoyait une mauvaise image, nous dont le point d’indice du salaire est gelé depuis plus de 10 ans et qui perdons déjà du pouvoir d’achat chaque année." Et il poursuit : "Avec la nouvelle méthode de calcul sur l’ensemble de la carrière, et non plus les six derniers mois, les retraites vont baisser mécaniquement. C’est clair on veut nous faire travailler plus longtemps pour gagner moins."
Parmi les arguments mis en avant pour promouvoir sa réforme, le gouvernement affirme que les indemnités seront désormais prises en compte pour la retraite. Une bonne nouvelle pour certains fonctionnaires dont les primes représentent parfois plus de 20 % de leur salaire. Mais ce n’est pas le cas des professeurs : "Hormis les remplacements long terme sur d’autres postes, peu d’enseignants bénéficient de réels compléments de salaires de ce type", explique Samuel Serre. "Le ministre de l’Éducation nationale (Jean-Michel Blanquer) nous ressort aujourd’hui sa prime de 300 euros par an mais il nous prend pour des idiots, elle avait été prévue sous Hollande !".
En tant que professeur agrégé et après 25 ans de carrière, Samuel touche environ 2 800 nets par mois. Selon ses calculs, la réforme représenterait une diminution de 400 euros par mois de sa future retraite, une perte importante qui s'accompagnerait d'une obligation de travailler jusqu’à "au moins 65 ans".
Samuel élève un enfant seul, ne touche pas d'aides sociales et paye un loyer mensuel de 1 200 euros. "Pas le choix en région parisienne", précise-t-il. Toutefois, il estime ne pas faire partie des plus à plaindre : "J’ai beaucoup de collègues qui gagnent aux alentours de 2 000 euros. Certains sont là depuis à peine quelques années et on leur annonce déjà que toutes les règles changent, ce n’est pas acceptable. Moi je suis né en 1971, donc s'ils décalent la reforme cela ne me concerne plus directement. Mais je ne me bats pas pour mon cas personnel."
Et il ajoute : "Il y a un vrai problème idéologique dans cette réforme, chacun paye sa retraite et non plus un système global, la société s’individualise un peu plus et cette problématique touche tout le monde sans que le gouvernement ne s’en émeuve".
"Au lycée, les enseignants sont devenus des exécutants"
Le sentiment d’abandon, Samuel et ses collègues le ressentent depuis des années. Un épisode lui reste particulièrement en travers de la gorge : la grève de 2003. "Des semaines de grève contre la réforme des retraites (conduite par François) Fillon, sans rien à la fin", se souvient-il.
Depuis septembre, c’est la réforme du lycée qui ne passe pas. "Je suis professeur de première, notre rôle est de préparer les élèves au bac. Mais on nous ajoute des examens pendant l’année. On se retrouve à les évaluer tout le temps ce qui génère beaucoup de stress chez les élèves. Il n’y a pas de temps prévu pour les corrections et on doit continuer à faire cours… Au lycée, les enseignants sont devenus des exécutants, il y a une perte de sens du métier. Ce n’est pas ça l’école !"
La réforme du baccalauréat est l’une des deux grandes réformes éducatives du gouvernement actuel, avec la "loi pour une École de la confiance" – dédiée à l’enseignement aux jeunes enfants. Ces deux projets ont été adoptés malgré la réticence d’une partie du corps enseignant. Samuel Serre considère que la réforme des retraites ne fait qu’entériner la rupture : "Jean-Michel Blanquer nous vantait une école de la confiance. Aujourd’hui, le gouvernement a perdu la confiance des enseignants. Pour relancer le dialogue, des ajustements ne suffiront pas, il doit retirer la réforme des retraites."