Une quarantaine de personnes sont mortes en Irak depuis le début, mardi, des manifestations contre le gouvernement d'Adel Abdel-Mahdi, qui ont gagné en intensité vendredi malgré le couvre-feu instauré par les autorités.
Les affrontements ont gagné en intensité, vendredi 4 octobre à Bagdad, entre forces anti-émeutes et manifestants, le jour où la plus haute autorité chiite d'Irak a mis en garde contre une aggravation de la contestation si le pouvoir ne répondait pas rapidement à ses demandes.
Une quarantaine de personnes ont été tuées et des centaines blessées, selon des sources officielles, depuis le début de ce mouvement mardi, né d'appels sur les réseaux sociaux pour protester contre la corruption, le chômage et la déliquescence des services publics.
Les manifestations dans la capitale irakienne et dans plusieurs régions chiites du Sud sont inédites dans un pays habitué aux mobilisations partisanes, tribales ou confessionnelles. Elles constituent le premier test pour le gouvernement d'Adel Abdel-Mahdi, en place depuis à peine un an et qui a appelé à la patience.
Vendredi et malgré la coupure d'Internet et le couvre-feu décrété dans ces régions depuis jeudi, les Irakiens sont descendus à nouveau dans la rue, principalement à Bagdad, où ils ont afflué sur la place Tahrir, face à un énorme déploiement sécuritaire.
De nombreux affrontements ont éclaté entre manifestants et forces de sécurité. Les tirs à balles réelles des forces de l'ordre étaient très nourris et des journalistes de l'AFP ont vu plusieurs blessés par balles, notamment au ventre et à la tête.
Dans un quartier résidentiel près de la place Tahrir, la plupart des magasins et des stations essence étaient fermés. Ceux qui étaient ouverts étaient pris d'assaut par les clients voulant acheter des légumes, dont le prix a triplé en raison de la fermeture de routes menant à Bagdad.
Une "étude des demandes des manifestants" samedi
Le mouvement a repris de plus belle après une allocution jeudi soir d'Adel Abdel-Mahdi, qui a réclamé du temps pour pouvoir améliorer les conditions de vie des 40 millions d'habitants dans un pays sorti il y a moins de deux ans de près de quatre décennies de conflits, et en pénurie chronique d'électricité et d'eau potable.
"Le gouvernement doit changer sa façon de gérer les problèmes du pays", a rétorqué Ahmed al-Safi, un représentant du grand ayatollah Ali al-Sistani, plus haute autorité chiite du pays, dans une mosquée à Kerbala, au sud de Bagdad.
Il doit "améliorer les services publics, trouver des emplois aux chômeurs, éviter le clientélisme dans le service public et en finir avec les dossiers de corruption", a-t-il ajouté. "Si les manifestations faiblissent pour un temps, elles reprendront et seront plus fortes et plus massives", a-t-il averti, au nom de l'ayatollah Sistani, une figure très influente dans ce pays à majorité chiite.
L'ayatollah Sistani a fait porter la plus grande responsabilité de la gabegie de l'État aux députés, qui ont annoncé que leur séance samedi serait consacrée à "l'étude des demandes des manifestants".
Néanmoins les manifestants semblent décidés à continuer leur mouvement qui touche, outre Bagdad, les provinces de Najaf, Missane, Zi Qar, Wassit, Diwaniya, Babylone et Bassora.
"Soit on meurt, soit on change le régime"
"On a écouté Adel Abdel-Mahdi, c'est un discours raté et décevant. On le rejette en bloc", affirme Ali el-Abadi, venu de Bassora (sud) pour rejoindre les manifestants, excédés par les services publics indigents, le chômage qui touche un jeune sur quatre et la corruption qui a déjà englouti quatre fois le budget de l'État ces 16 dernières années.
"Cela fait plus de 15 ans qu'on entend les mêmes promesses (...) Elles ne nous feront pas quitter la rue", s'indigne Sayyed, un manifestant de 32 ans, à Bagdad. "On continue : soit on meurt, soit on change le régime."
Alors que les autorités ont dénoncé des "saboteurs" parmi les manifestants après les premiers manifestants tués, Amnesty International a exhorté Bagdad à "ordonner immédiatement aux forces de sécurité de cesser d'utiliser une force excessive" et à rétablir la connexion Internet.
Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme a demandé à l'Irak une enquête "rapide" sur les morts et "de permettre à la population d'exercer ses droits à la liberté d'expression".
Pour le moment, les régions principalement sunnites dans le nord irakien et à l'ouest de Bagdad, qui avaient été ravagées par la guerre contre les jihadistes, n'ont pas connu de manifestations. La région autonome du Kurdistan non plus.
Avec AFP