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Homophobie dans les stades : "Le football est un miroir grossissant de la société"

En estimant que les propos homophobes étaient moins graves que les insultes racistes, le patron du football français a relancé une nouvelle fois le débat sur l’homophobie dans le football.

Alors que le gouvernement et les associations ont lancé une concertation pour lutter contre les propos homophobes dans les stades, le patron de la Fédération française de football (FFF) Noël Le Graët a déclenché une polémique, estimant qu’il fallait interrompre les matches pour des cris racistes mais pas pour des manifestations homophobes. La ministre des Sports Roxana Maracineanu a immédiatement réagi, dénonçant une position "erronée", tout comme les associations LGBTQ, qui ont appelé à la démission de Noël Le Graët. Face à cette nouvelle polémique une question se pose : y a-t-il un problème d’homophobie structurelle au sein du football français ?

Face à la montée de la polémique sur l’homophobie dans les stades, le président de la FFF a rejeté toute accusation d’homophobie dans le foot allant jusqu’à affirmer que l’interdiction pouvait "accentuer" le phénomène. Noël Le Graet a rencontré, mercredi, la ministre des Sports Roxana Maracineanu. Les deux responsables ont joué l’apaisement dans un communiqué commun, se déclarant favorables à une action "résolue, adaptée et pragmatique" et invitant "les associations de supporters et les clubs à s'unir" pour "lutter solidairement contre toutes les formes de discrimination".

Pour Philippe Liotard, sociologue à l'université Claude Bernard Lyon 1 et spécialiste des discriminations dans le monde du sport, "il ne fait aucun doute que les propos polémiques du président traduisent institutionnellement la position du foot français. Ce n’est pas une position nouvelle, l’homophobie est un problème que les instances n’arrivent pas à régler et qui les met profondément mal à l’aise."

L’universitaire Louis-Georges Tin, militant contre l'homophobie et le racisme, juge, quant à lui, les instances du foot coupables car elles ont organisé l’impunité à la fois sur le racisme et sur l’homophobie en s’opposant à toute poursuite judiciaires : "Ils minimisent le problème, affirmant que c’est la responsabilité de petits groupes de supporters, alors qu’ils ont une responsabilité légale en tant qu’organisateurs. Le plus incroyable c’est qu’on a commencé à suspendre les matches quand les insultes homophobes visaient, non plus les joueurs, mais les instances du foot."

Le rôle des joueurs

En mai 2019, Antoine Griezmann s’affiche en couverture du magazine LGBTQ Têtu avec une citation évocatrice : "L’homophobie dans le foot ça suffit !". Le champion du monde s’est exprimé à plusieurs reprises sur le sujet mais force est de constater qu’il est bien seul sur ce terrain. "Les joueurs sont malheureusement faibles sur les prises de position", regrette Louis-Georges Tin. "Quand ils le font, ils risquent de se faire attaquer comme Lilian Thuram avec ses propos sur le racisme dans la culture blanche. On ne peut pas leur jeter la pierre car on ne les incite pas à l’audace."

Philippe Liotard déplore quant à lui les clichés qu’il estime bien ancrés au sein des équipes : "Plusieurs joueurs m’ont affirmé qu’il n’y avait pas d’homosexuels dans le foot et que, si c’était le cas, ils ne pourraient pas jouer avec".

En 2016, les joueurs de Ligue 1 et de Ligue 2 ont participé à une campagne de lutte contre l'homophobie, le racisme et le sexisme en portant des lacets arc-en-ciel lors des matches. "Plusieurs responsables m’ont confié avoir élargi la campagne aux autres types de discriminations pour éviter les refus parmi les joueurs » affirme Philippe Liotard.

L’homosexualité, un tabou total

Existe-t-il des joueurs de football homosexuels ? La question peut prêter à sourire tellement le sujet est tabou au sein des clubs. L’expérience de Yoann Lemaire montre à quel point il est difficile de faire son "coming-out". Cet ancien joueur amateur a révélé publiquement son homosexualité en 2004, avant d’être placardisé puis finalement exclu. Autre rare cas, celui d'Olivier Rouyer, seul joueur professionnel français à avoir révélé son homosexualité mais seulement après avoir mis fin à sa carrière de joueur et d’entraîneur. Aujourd'hui consultant pour l'Équipe TV, il a vivement dénoncé les propos de Noël Le Graët qu'il qualifie de "honteux".

Pour Philippe Liotard l'absence de joueurs affichant leur homosexualité dans le football français professionnel est un indicateur clair du climat homophobe qui règne dans le football : "On sait que l’environnement est un facteur clé ; plus le milieu est perçu comme favorable par les homosexuels, plus ils auront tendance à révéler leur homosexualité. L’omerta au sein du foot est très parlante à ce niveau".

Un miroir de la société ?

Le président de FFF a été clair sur le sujet : il considère l’homophobie plus acceptable que le racisme. Ce point de vue est-il cantonné aux instances du football ou trouve-t-il une résonance au sein de la société française ?

Pour Louis-Georges Tin, l’homophobie est incontestablement plus présente dans le sport et le football en particulier que dans le reste de la société : "Il s’agit d’un des seuls milieux non mixtes qui perdure. Lorsque l’on évolue entre hommes, la question de l’homosexualité est à la fois plus présente et plus taboue. Certains la considèrent comme une menace personnelle, ce qui exacerbe la masculinité et le sexisme. C’est un miroir grossissant d’une problématique bien réelle dans la société".

Ce point de vue est partagé par Philippe Liotard : "Dans le football, il est largement admis que le racisme est inacceptable. Aucun élément ne permet de dire que la même chose est vraie pour l’homophobie. Dans la société française, les insultes homophobes sont bien sur trop présentes, mais le contraste me paraît moins marqué avec le racisme".