En réponse à l'émotion suscitée par la tentative de suicide d'un salarié de France Télécom, mercredi, la direction annonce que les mutations forcées seront gelées jusqu'à fin octobre. Une marche des salariés avait lieu jeudi matin.
REUTERS - La direction de France Télécom a annoncé jeudi une série de mesures à la suite des suicides de plusieurs salariés de l'entreprise, un phénomène que les syndicats imputent à des méthodes de management jugées coercitives.
Les mutations forcées de salariés sont gelées jusqu'au 31 octobre, a annoncé aux syndicats le directeur des ressources humaines, Olivier Barberot, lors d'une réunion du comité d'hygiène et de sécurité de la société à Paris.
Des négociations vont être ouvertes le 18 septembre sur la mise en oeuvre d'un accord national interprofessionnel concernant le stress au travail, avec l'aide d'un psychiatre.
Un audit sur les cas de suicide sera mené par un cabinet spécialisé à choisir parmi trois proposés par la direction de France Télécom, ancien service public d'Etat devenu société anonyme en 1996, où les capitaux privés sont majoritaires depuis 2004.
Cette annonce, rapportée de source syndicale et confirmée à Reuters par la direction, intervient au lendemain d'une tentative de suicide d'un salarié de FT à Troyes (Aube), visé par une demande de changement d'affectation.
Il s'est frappé d'un coup de poignard lors d'une réunion et a dû être hospitalisé.
Le phénomène va croissant selon les syndicats, qui font état de 22 suicides depuis février 2008. Après une longue période où elle refusait de communiquer, la direction de FT a publié les bilans de 28 suicides en 2000, 29 en 2002 et 12 en 2008.
Le phénomène n'est donc pas en hausse selon l'entreprise, qui souligne qu'il est statistiquement dans la norme générale, pour une société de 102.200 employés. Elle admet toutefois un possible rapport avec la vie interne de la société.
"Le groupe se transforme à toute vitesse, il y a une adaptation pour des raisons économiques et de concurrence. Cette
transformation, on a pleinement conscience qu'elle peut créer des difficultés ou des inquiétudes", a dit un porte-parole.
"Les chiffres traduisent indiscutablement une véritable anxiété, un mal-être de certains de nos salariés", reconnaît Olivier Barberot dans un entretien publié dans Le Parisien de jeudi.
Les syndicats veulent davantage de mesures
Les syndicats font une analyse différente du phénomène, qui révèle selon eux le désarroi d'employés confrontés à la généralisation de méthodes de management coercitives.
Le but serait d'obtenir des départs pour réduire les effectifs, d'accélérer la migration vers des statuts privés du personnel bénéficiant encore à 70% du statut de fonctionnaire ou d'imposer du rendement et des résultats financiers.
"La direction doit faire des suppressions de postes, et au lieu de faire des licenciements, elle exerce des pressions pour
que les gens s'en aillent", a dit à Reuters une salariée au nombre des quelque 200 manifestants qui s'étaient rassemblés à Paris à l'occasion de la réunion du comité d'hygiène.
"Il y a beaucoup de gens qui ne vont pas bien. Les suicides, c'est le haut de l'iceberg", a-t-elle ajouté sous le sceau de l'anonymat.
Les syndicats demandent l'ouverture de négociations plus larges sur les conditions de travail. Nathalie Dequeker, déléguée du syndicat Sud, a estimé que le changement de culture à France Télécom était en cause.
"Les managers ont pour objectif la rentabilité à tout crin, ont des objectifs en suppressions d'emplois, même si ce n'est pas officiellement reconnu. (...) Par ailleurs, les objectifs fixés aux salariés, par exemple en termes de vente, sont souvent inatteignables", a-t-elle dit à Reuters.
Ce point de vue a été illustré par la lettre laissée par un salarié qui s'est donné la mort à Marseille cet été, publiée par la presse. "Je me suicide à cause de mon travail, c'est la seule raison", a-t-il écrit, parlant de "management par la terreur".
Selon un porte-parole, France Télécom a déterminé le profil-type des employés qui se suicident : un homme blanc dans la cinquantaine, technicien, et qui est entré dans l'entreprise quand elle était service public.