Le Parti socialiste espère déposer une proposition de loi visant à aboutir à un référendum d’initiative partagée pour rétablir l’impôt sur la fortune (ISF). Première étape à franchir : réunir 185 signatures de parlementaires.
Ce n’est pas le référendum d’initiative citoyenne réclamé par les Gilets jaunes, mais on s’en approche légèrement. Le Parti socialiste doit encore convaincre 29 parlementaires pour pouvoir déposer sa proposition de loi de référendum d’initiative partagée (RIP) visant à rétablir l’impôt sur la fortune (ISF). Y parvenir tiendrait de l’exploit tant la mise en place d’un tel référendum ressemble à une course d’obstacles.
La réforme constitutionnelle de 2008 réalisée par Nicolas Sarkozy a instauré la possibilité pour les parlementaires de contraindre le gouvernement à organiser la tenue d’un référendum. Celui-ci doit porter sur l’organisation des pouvoirs publics ou sur des réformes économiques, sociales ou environnementales. Mais valider les trois étapes nécessaires à l’organisation d’un RIP est tellement complexe pour un parti d’opposition que cela n’a jamais été utilisé depuis son entrée en vigueur en 2015.
L’article 11 de la Constitution stipule ainsi que la question à poser aux Français doit dans un premier temps faire l’objet d’une proposition de loi référendaire déposée par au moins 1/5e des députés et sénateurs réunis, soit 185 parlementaires sur 925 au total. Dans un deuxième temps, le Conseil constitutionnel doit valider la question posée en vérifiant qu’elle remplit les conditions requises. Enfin, la proposition de loi référendaire doit recueillir le soutien d’au moins 10 % du corps électoral, soit 4,7 millions d’électeurs.
"C’est plus que possible", a malgré tout lancé la présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Valérie Rabault, le 18 décembre, en interpellant le Premier ministre Édouard Philippe dans l’hémicycle du Palais Bourbon.
.@Valerie_Rabault et les @socialistesAN lancent un référendum d'initiative partagée pour restaurer l'#ISF : "Vous estimez que le rétablir nuirait à la politique économique de la France, nous pensons qu'il est indispensable à la justice fiscale et à la cohésion nationale"#DirectAN pic.twitter.com/CtmNNAezQ1
LCP (@LCP) 18 décembre 2018L’optimisme de la députée du Tarn-et-Garonne pourrait toutefois être douché par la réalité de la composition du Parlement français. Au 18 janvier, grâce à l’ensemble des députés et sénateurs socialistes, communistes et insoumis, à une poignée de parlementaires écologistes et quelques anciens députés La République en marche, l’initiative du PS avait réuni 156 signatures. Mais il reste à en convaincre une trentaine : le plus dur car ceux-ci devront être trouvés parmi les députés et sénateurs de la majorité ou du parti Les Républicains.
"L’année de l’offensive pour le Parti socialiste"
"C’est un combat, car il n’y a pas de majorité naturelle en faveur de notre référendum et il va falloir convaincre au centre et à droite", reconnaît Corinne Narassiguin, numéro 2 du Parti socialiste, interrogée par France 24. "Mais nous ne leur demandons pas de se prononcer pour le rétablissement de l’ISF. Nous souhaitons juste qu’ils acceptent le principe d’un débat et que l’on puisse donner aux Français la possibilité de s’exprimer sur cette question."
Encore sonné par sa double défaite aux élections présidentielle et législatives de 2017, le PS souhaite aussi, grâce à cette initiative, revenir au centre du jeu. "Cette année 2019 sera l’année de l’offensive pour le Parti socialiste", a ainsi affirmé son premier secrétaire, Olivier Faure, vendredi 18 janvier, lors de ses vœux à la presse.
Même si des contacts ont été pris et que des discussions ont lieu dans les couloirs de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Parti socialiste compte avant tout sur les citoyens pour convaincre des élus de la majorité, de la droite et du centre d’apporter leur soutien au RIP.
Une plateforme mise en ligne mi-décembre permet à chaque Français d’interpeller son député et son sénateur grâce à un courrier électronique automatisé. "Je souhaite qu’un référendum d’initiative partagée sur le rétablissement de l’ISF soit organisé. Citoyen-ne de votre circonscription, j’en appelle à votre sens de la démocratie pour signer la proposition de loi référendaire et permettre que tout-e-s les Français-e-s soient consulté-e-s", est-il écrit.
Déjà+ de 7300 emails envoyés pour interpeller vos parlementaires !
Exigeons plus de justice fiscale : continuons de demander un referendum sur l’#ISF ???? https://t.co/ekXuiFTmjA #ReferendumISF pic.twitter.com/XybvVkgkm9
"Les parlementaires ont bien conscience qu’il s’agit d’une demande des Français, donc c’est grâce à la pression citoyenne que nous pourrons y arriver, estime Corinne Narassiguin. Il y a un message politique fort à envoyer au président de la République : on ne peut pas commencer un grand débat national en fixant les politiques sur lesquelles il est interdit de revenir."
77 % des Français favorables au rétablissement de l’ISF
Et après ? Une fois obtenues les 185 signatures nécessaires au dépôt de la proposition de loi, la question proposée devra être validée par le Conseil constitutionnel. Or, là encore, la partie n’est pas gagnée d’avance.
Le rétablissement de l’ISF, qui relève de la fiscalité, entre-t-il dans le cadre défini par l’article 11 de la Constitution de "la politique économique, sociale ou environnementale de la nation" ? Cette question sur a constitutionnalité d'un tel rétablissement fait débat chez les spécialistes de droit constitutionnel, comme l’a montré France Inter. "L’impôt est un des ressorts de la politique économique et de la politique sociale", affirme Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, tandis que pour Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille, "ça ne passera pas".
"C’est vrai qu’on sera en terrain inconnu, car personne ne s’est jamais saisi du référendum d’initiative partagée. Mais nous irons défendre nos positions. Pour nous, l’ISF entre clairement dans le champ des questions de politique économique et sociale", assure Corinne Narrassiguin.
Il ne restera alors plus qu’à obtenir le soutien de 4,7 millions d’électeurs. Une dernière étape qui ne devrait être a priori qu’une formalité. Un récent sondage Ifop pour le Journal du Dimanche, publié le 6 janvier, montrait en effet que 77 % des Français sont favorables au rétablissement de l’ISF.