Est-ce vraiment sur Twitter et Facebook qu’on regardera la télé demain ? État des lieux de la stratégie vidéo de ces deux réseaux sociaux en pleine évolution.
À la mi-octobre, les écuries de Twitter et Facebook étaient en France pour évoquer la stratégie vidéo de leur plateforme respective. À quelques heures d’intervalle sur la scène du MIPCOM à Cannes, Kay Madati (Twitter) puis Paresh Rajwat et Matthew Henick (Facebook) ont donc pris la parole devant une foule de journalistes et de professionnels de l’audiovisuel avides de savoir où seront diffusés les contenus vidéo qui attireront les audiences de demain.
Twitter : compléter sans concurrencer
Douze ans après sa création par Jack Dorsey, et un an après avoir fait tomber la sacro-sainte limite des 140 caractères, Twitter a bien compris qu’aujourd’hui l’information ne transite plus seulement par le texte. "Notre mission depuis le début, c’est d’informer le monde et de servir le débat public", explique Kay Madati, vice-président du réseau social et responsable des partenariats et contenus internationaux, à France 24. "On a utilisé le texte, les images, les GIFs, les mèmes et maintenant les vidéos pour raconter aux gens ce qu’il se passe dans le monde. C’est une évolution naturelle."
Alors depuis deux ans, Twitter a noué plus de 150 partenariats avec des producteurs de contenus plutôt traditionnels comme le groupe Viacom (propriétaire des chaînes de télévision américaines MTV, Comedy Central, Nickelodeon ou Game One), l’Anglais Sky (Sky News, Sky Sports) ou encore TF1 et BeIn Sports en France. Le deal ? La plateforme analyse les comportements de ses utilisateurs pour identifier ce qui "fait les conversations", et les producteurs fabriquent des vidéos en lien avec ces tendances. "La plupart de ces contenus sont courts, faciles à regarder, à liker et à partager", résume Kay Madati.
Parmi les exemples les plus réussis, on peut citer la diffusion du mariage royal du Prince Harry avec Meghan Markle qui a rassemblé 12 millions de visiteurs sur le compte Twitter de Sky ainsi que des accords avec le NBA, Wimbledon ou la Coupe du monde de la FIFA pour relayer les images de ces compétitions sportives ô combien populaires sur le réseau social. "Le sport c’est assez évident, lorsqu’il y a un but pendant un match, les gens viennent sur Twitter pour en parler. Et idem lorsque Serena Williams joue à Wimbledon", commente le vice-président du réseau social pour France 24.
Watch the Royal Wedding live from Windsor #RoyalWedding https://t.co/nYlSqI09ns
Sky News (@SkyNews) 19 mai 2018Si on ne connaît pas toutes les lignes de ces contrats entre Twitter et ses "partenaires", les avantages pour les chaînes de télévision sont assez évidents : engranger des revenus publicitaires grâce à la monétisation de ces vidéos et attirer de nouveaux spectateurs vers ses services. D’après Emma Lloyd, directrice du développement et des partenariats de Sky, l’effet d’engagement de Twitter aurait un impact jusque sur les abonnements à la plateforme de SVOD NowTV de la chaîne. Pour le réseau social aux 335 millions d’utilisateurs actifs, l’objectif est tout aussi clair : remettre un coup d’accélérateur à sa croissance et tenir tête à ses concurrents Instagram, YouTube ou Facebook – qui culmine à 2,2 milliards d’utilisateurs dans le monde.
"On n’a aucun intérêt à devenir des producteurs de contenus"
Dans les mois à venir, Twitter envisage d’intensifier ces partenariats. "Pour 2019, on a l’ambition de peut-être doubler le nombre de partenariats en France", annonce Kay Madati à France 24, alors que le réseau social a depuis peu opéré une restructuration pour un management plus "local" des partenariats. Côté thématiques, le sport sera toujours une valeur sûre et fédératrice, mais Kay Madati évoque aussi "des choses à faire pour parler de politique" et ne s’interdit pas de s’intéresser à de la fiction, "à condition que le sujet fasse partie des conversations du moment". Point de vue innovation enfin, les équipes de Twitter "expérimentent" aussi du côté de la réalité augmenté, de la réalité virtuelle et de la vidéo à 360, autant de "nouvelles façons de raconter des histoires fiables et solides", commente le vice-président.
Ne nous reste alors plus qu’une question : quand Twitter s’éloignera-t-il de ces partenaires pour produire ses propres contenus originaux ? À en croire notre interlocuteur, cela ne fait pas partie des plans. "On n’a aucun intérêt à devenir des producteurs de contenus, on n’est pas experts en ce domaine. Pour qu’on soit un vrai partenaire, et non un concurrent vis-à-vis des diffuseurs, il faut qu’on travaille avec eux pour leur montrer que si on marie leurs contenus à nos audiences, ça peut être très puissant."
En somme, Twitter se pose en complément des offres des médias traditionnels qui doivent désormais décliner leurs contenus pour qu’ils soient regardés sur différents supports (smartphone, tablette, etc) et différentes plateformes. Ce qui n’est pas franchement le positionnement de Facebook.
Facebook : la vidéo comme expérience sociale
Un an après son lancement aux États-Unis, l’onglet Watch – qui ne rassemble que des contenus vidéo sur Facebook – a été déployé dans le monde entier le 29 août 2018. En cliquant sur Watch, les utilisateurs quittent le fil d’actualités traditionnel du réseau social pour un fil 100 % vidéo qui se déroule à l’horizontal et à la vertical. Ils y retrouvent tous les contenus vidéo des pages qu’ils suivent, et d’autres qu’ils ne suivent pas mais "susceptibles de les intéresser" grâce à des recommandations algorithmiques, explique Édouard Braud, directeur des partenariats Facebook en France, à France 24.
Parmi ces "pages" qui produisent de la vidéo, il y a, comme chez Twitter, des chaînes de télévision traditionnelles à l’image de MTV qui vient d’annoncer relancer sa mythique émission de télé-réalité "The Real World" sur Facebook au printemps 2019 avec trois saisons simultanées tournées aux États-Unis, au Mexique et en Thaïlande. Mais aussi, et surtout, de nouveaux médias qui vivent exclusivement sur les plateformes en ligne à l’image du français Brut ou de l’italien Freeda, érigés en exemple par Matthew Henick, responsable des contenus et de la stratégie de chez Facebook, sur la scène du MIPCOM.
Pour inciter un maximum de pages à faire grossir le catalogue vidéo de l’onglet Watch de Facebook, le réseau social "rencontre aussi souvent que possible les acteurs du marché" : "On leur fait des recommandations, on leur présente les outils. On multiplie aussi les tutoriels sur nos environnements pour donner des conseils", détaille Édouard Braud. De quoi obtenir des contenus "pensés pour la plateforme" qui génèrent un maximum d’engagement et de monétisation, bénéfiques pour les deux parties.
"Regarder une vidéo ne doit pas être une expérience passive"
Parmi les "outils" évoqués par Édouard Braud et censés amplifier davantage le potentiel d’engagement de ces vidéos au-delà des simples "J’aime" et commentaires, Facebook a notamment développé la fonctionnalité Watch Party qui permet aux utilisateurs de regarder en groupe une vidéo et d’y réagir en simultané dans un chat. Lors de la diffusion des vidéos de son "5-day Veggie Challenge", le chef médiatique Jamie Olliver s’était ainsi invité au milieu des spectateurs pour échanger avec eux en direct. "Ce qui rend Watch unique, c’est que pour nous regarder une vidéo ne doit pas être une expérience passive, mais doit plutôt vous connecter avec les autres. Notre mission est de créer des expériences partagées et de donner un sentiment d’appartenance aux spectateurs", répète à l’envi Paresh Rajwat, directeur de la vidéo de Facebook.
Et cette "expérience sociale" prônée par Facebook s’illustre parfaitement dans les programmes originaux de la plateforme. Car oui, quand Twitter refuse de se placer en producteur pour ne pas froisser ses "partenaires", le réseau social de Mark Zuckerberg a sauté le pas. Et si les contenus originaux "ne représentent qu’une partie infime des contenus qu’on peut voir sur Watch", tient à préciser Édouard Braud, force est de constater qu’ils attirent l’attention.
Outre l’émission "Red Table Talk" ou la télé-réalité "Ball in the family" populaires auprès des abonnés américains, la série "Sorry For Your Loss" avec Elizabeth Olsen a séduit les critiques, marquant "la véritable entrée du réseau social dans la concurrence sérielle" pour Télérama. Et comme "Sorry For Your Loss" n’est pas une série comme les autres, elle s’accompagne sur Facebook d’un groupe fermé de soutien dans lequel des milliers d’internautes échangent témoignages et conseils relatifs au deuil et à la perte d’un proche, le sujet principal de la série. Dans une autre veine, Facebook s’apprête à lancer à l’international son jeu maison Confetti, une sorte de Trivial Poursuit interactif avec gain à la clé qui sera animé dans différentes pays par des présentateurs locaux – dont on ne connait pas encore la liste.
S’il est un peu tôt pour juger du succès de Watch, plus de 50 millions de personnes passeraient déjà plus d’une minute par jour sur l’onglet aux États-Unis. Et, plus encourageant encore, "le temps passé à consommer de la vidéo dans l’environnement Watch est cinq fois supérieur à celui passé sur le fil classique", assure le réseau social. Et si les stratégies de Facebook et Twitter diffèrent quant à la nature des contenus vidéo qu’ils proposent, l’objectif au fond est bien le même : garder ses utilisateurs toujours plus longtemps sur leurs terres, quand la concurrence des plateformes de streaming se fait de plus en plus grande.
Retrouvez tous les contenus de F24 Découvertes sur Facebook et Twitter.