Les membres de la francophonie rassemblés pour le XVIIe sommet, les 11 et 12 octobre à Erevan, en Arménie, doivent désigner leur nouveau patron. La candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo, soutenue par la France, fait polémique.
"Je suis confiante, je vais à Erevan avec le sourire", lançait le 2 août dernier Louise Mushikiwabo, candidate rwandaise au Secrétariat général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), dans un entretien accordé à TV5Monde. Pas sûr que tous les représentants de l’organisation affichent la même décontraction. À l’occasion du XVIIe sommet, les 11 et 12 octobre prochains, les 84 chefs d’État et de gouvernement de l’OIF qui doivent désigner le nouveau secrétaire général de l'organisation, sont loin de tous adouber Louise Mushikiwabo, numéro deux du régime autoritaire et peu francophile de Kigali.
Dans un duel 100 % féminin, la candidate rwandaise doit affronter la Canadienne Michaëlle Jean, secrétaire générale sortante, qui brigue un second mandat. Mais Louise Mushikiwabo dispose d’une belle avance sur son adversaire, car elle bénéficie du soutien de la France et de l’Union africaine, tandis que Michaëlle Jean a perdu celui du Canada et du Québec.
"Une candidate africaine est une très bonne nouvelle"
"S’il y a une candidature africaine au poste de secrétaire générale de la Francophonie, elle aurait beaucoup de sens. Si elle était africaine et féminine, elle aurait encore plus de sens. Et donc, je crois qu’à ce titre, la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, a toutes les compétences pour exercer cette fonction (…). Je crois qu’avoir une candidate africaine est une très bonne nouvelle et, à ce titre, je la soutiendrai", avait déclaré Emmanuel Macron le 23 mai, à l’issue de sa rencontre avec son homologue rwandais Paul Kagame.
Cette position française a de quoi surprendre à plus d’un titre. D’abord, parce que les relations entre Paris et Kigali depuis le génocide de 1994 au Rwanda sont extrêmement tendues. Ensuite parce que le pays des mille collines ne brille pas par son respect de la démocratie. Paul Kagame, au pouvoir depuis 1994, a instauré un régime autoritaire en commençant par changer la Constitution pour lui permettre de rester au pouvoir jusqu’en 2034. Et Louise Mushikiwabo, considérée par beaucoup comme la numéro deux du régime, a toujours fait montre de sa fidélité envers le régime au point de justifier les dérives et les manquements les plus élémentaires aux droits de l’Homme.
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Autre problème et non des moindres, Paul Kagame n’a eu de cesse de prendre ses distances avec le français : choix de l’anglais comme langue nationale, rédaction des actes officiels en anglais, fin de l’enseignement du français dans les écoles, adhésion au Commonwealth en 2009 et discours de Kagame dans la langue de Shakespeare alors même qu’il s’adresse au président Macron ou à l’OIF – organisation que le Rwanda a d’ailleurs failli quitter sous l'impulsion de son président.
En 2014, le gouvernement rwandais a même détruit au bulldozer le centre culturel franco-rwandais à Kigali, lieu symbolique pour la promotion de la culture et de la langue française au Rwanda.
"Cette candidature est une grande incompréhension"
Dans ces conditions, ONG, associations et responsables politiques sont montés au créneau. "Comment l’Organisation internationale de la francophonie va-t-elle pouvoir favoriser le pluralisme des médias et la liberté de la presse conformément à ses objectifs en matière de droits de l’Homme, si elle est dirigée par l’une des principales dirigeantes d’un État qui piétine le droit à l’information et réprime les journalistes depuis 18 ans ?", s’est inquiété Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). "C’est la capacité de l’OIF à défendre les médias et les journalistes libres comme acteurs incontournables du développement dans l’espace francophone qui est en jeu."
Des politiques français, dont l’ancienne ministre déléguée chargée des Français de l'étranger Hélène Conway-Mouret, ont également élevé la voix pour s’opposer au choix de Paris, dans une tribune publiée le 13 septembre dans Le Monde. "Cette candidature est une grande incompréhension : nous disons tout haut ce que tout le monde pense tout bas, fulmine la sénatrice des Français de l’étranger dans un entretien accordé à France 24. L’OIF est une grande famille qui fait la promotion de la langue française et Louise Mushikiwabo n’a jamais montré par le passé le moindre attachement au français, bien au contraire : elle a pu déclarer que le français ne servait à rien. Et puis l’OIF véhicule aussi des valeurs. Comment va-t-elle défendre les idéaux démocratiques de l’OIF en même temps que les atteintes aux droits de l’Homme au Rwanda ?"
D’aucuns s’interrogent enfin sur l’intérêt que peut porter le Rwanda à cette organisation, dans la mesure où le régime a longtemps rechigné à régler sa contribution financière. Les arriérés de paiement accumulés (à raison de 30 000 euros par an) n’ont été soldés qu’en mai dernier.
Du côté du gouvernement français, on pense qu’il faut donner sa chance au Rwanda. "Il y a des régimes qui peuvent progresser sur le respect des valeurs démocratiques", souligne Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État français chargé de la Francophonie, dans les colonnes du Journal du dimanche du 7 octobre. "Le Rwanda est aussi un pays en avance sur le plan de l’égalité hommes-femmes par rapport à bien d’autres pays francophones", poursuit-il.
La francophonie, instrument des intérêts français
Ce n’est pas la première fois que le choix de la France surprend. En 2014 déjà, alors que la fronde populaire se faisait de plus en plus forte contre le président burkinabé Blaise Compaoré, l’Élysée lui avait proposé le poste comme porte de sortie. Ce chef d'État africain avait été plébiscité par Paris parce qu'il n'a jamais porté atteinte aux intérêts français. La candidature de Louise Mushikiwabo semble, elle aussi, d'une autre manière, arranger l'État français. "Derrière les personnes, il y a une formidable convergence d’intérêts économiques et géopolitiques", affirme Pascal Airault, journaliste à L’Opinion et coauteur de "Françafrique, opérations secrètes et affaires d'État", dans un article de RFI, publié le 7 juin. "Le Rwanda est un petit pays qui exerce une influence disproportionnée dans sa région. Pour [le pragmatique] Emmanuel Macron, normaliser les relations avec le Rwanda permettra à la France de reprendre sa place dans la région économiquement stratégique des Grands Lacs, où les Américains sont omniprésents depuis Bill Clinton."
Antoine Glaser, journaliste et écrivain français, spécialiste de l'Afrique, voit lui aussi les avantages que la France peut obtenir de cette candidature : "La francophonie a toujours été utilisée par la France comme un instrument pour défendre les intérêts français. Paris s’est servi de Boutros Boutros-Ghali comme d’Abdou Diouf, les premiers secrétaires généraux, pour avancer ses pions en Afrique".
Sous François Hollande, la France a laissé le Canada passer au premier plan, ouvrant la porte à la candidature de Michaëlle Jean. Emmanuel Macron tente de reprendre la main, analyse Antoine Glaser : "Il fait même d’une pierre deux coups. [En soutenant Louise Mushikiwabo], il réconcilie la France avec le Rwanda, d’une part, et s’assure, d’autre part, que la direction de l’OIF revienne à l’Afrique. C’est un coup de maître digne d’un champion d’échecs, car personne ne sait mieux que le président français que désormais, la sauvegarde des intérêts de la France passe par les chefs d’État africains. Cela peut paraître très cynique, mais c’est ainsi."