Après 40 ans de prison, Michel Cardon est libre. La justice a admis avoir "oublié" ce détenu condamné à perpétuité en 1979 pour un meurtre commis deux ans plus tôt. Selon son avocat, il aurait pu réclamer une liberté conditionnelle depuis 20 ans.
Après 14 827 jours, soit 40 ans, 7 mois et 5 jours passés en prison, Michel Cardon est libre. Peu avant 9 heures vendredi 1er juin, il a été accueilli à la sortie du centre de détention de Bapaume, dans le Pas-de-Calais, par son avocat. "Il n’a eu de cesse de sourire, m’a dit qu’il était content", affirme Me Éric Maupin, joint par téléphone par France 24.
Nous, on loue des camionnettes de 20m3 quand on déménage au bout de 10 ans.
Ici 40 ans de vie dans un chariot à peine plus grand qu'un caddie de supermarché. #FreeMichelCardon pic.twitter.com/Q851X6lsvP
Michel Cardon est l'un des plus anciens détenus de France. Un détenu que le système judiciaire a admis avoir "oublié". "On dirait qu’il a été oublié en détention", s’étonnait en février 2018 la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté de Lille, constatant "qu’aucun projet d’exécution de peine n’a été imaginé à son sujet", lui qui aurait pu réclamer une liberté conditionnelle depuis 20 ans selon son avocat.
Sur les images tournées par France 3 Hauts-de-France devant le centre de détention de Bapaume, on découvre un homme de 67 ans, veste noire et pantalon gris, cheveux blancs, à la démarche hésitante, visiblement diminué physiquement par ses longues années de détention. Frappé par un accident vasculaire cérébral en 2012, il a perdu l’usage d’un œil, une partie de l’audition et ne s’exprime que difficilement.
"Les années ont passé, puis les décennies"
"À partir du moment où il ne faisait pas parler de lui, il est devenu un passe-muraille. Personne n’a été alerté sur son cas. Les années ont passé, puis les décennies", se désole Me Éric Maupin. "C'est quelqu'un de discret, qui n'a jamais posé de problèmes en détention, il ne faisait pas parler de lui, il restait beaucoup dans sa cellule. Il était temps qu'il sorte, la détention l'a esquinté, il a 67 ans mais il en paraît 80", décrit à l’AFP Freddy Daucourt, surveillant et délégué FO à Bapaume, où Michel Cardon était incarcéré depuis 1996.
Michel Cardon et son complice, Jean-Yves Defosse, ont été condamnés en 1979 à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre, à Amiens, d'un voisin sexagénaire qu'ils avaient cambriolé deux ans plus tôt. Les deux hommes étaient repartis avec un maigre butin de 200 francs et une charrette d'objets dérisoires. Alors que la peine de mort avait été requise, Michel Cardon évite l’échafaud grâce à un vibrant plaidoyer de son avocat commis d’office, Me Jean Bouly. "Après le procès, raconte le défenseur au journal La Croix, Michel Cardon m’a demandé de faire appel, mais j’ai refusé. Le risque pour lui d’être condamné à la peine capitale était réel. Il a dit qu’il prendrait un autre avocat et a cessé de m’écrire." Au moment de son incarcération, Michel Cardon, retiré très jeune à la garde de ses parents et balloté de foyer en foyer, a 26 ans.
Dès lors, il n’aura plus aucun contact avec le monde extérieur. Pendant 38 ans, il ne reçoit aucune visite. Cet isolement prend fin grâce à un autre détenu de Bapaume. En 2016, à sa sortie de prison, ce dernier alerte la presse locale sur les conditions de détention de Michel Cardon. Me Éric Maupin tombe sur l’article publié dans la Voix du Nord et entame une longue bataille pour le faire sortir de prison.
"D’autres Michel Cardon"
Après cinq requêtes rejetées, les experts estimant qu’un risque de récidive existait, le tribunal d’application des peines d'Arras accorde, le 30 mars, la libération conditionnelle à Michel Cardon "sous condition du bon déroulement d'un placement à l'extérieur" pendant un an à compter du 1er juin 2018. "Les expertises et évaluations pluridisciplinaires les plus récentes ont relevé une dégradation importante des fonctions cognitives" du détenu, indique cette décision. "Le dernier expert n'a retrouvé aucun élément en faveur d'un risque de récidive".
Michel Cardon reste cependant administrativement sous écrou de la prison d'Osny, dans le Val-d'Oise, et sera suivi par un juge d'application des peines de Pontoise pendant sa période probatoire d'un an. Dans la mesure où sa période de libération conditionnelle doit durer jusqu'en 2022, son avocat a décidé de maintenir sa demande de grâce présidentielle formulée dans un courrier daté du 12 février.
Michel Cardon a rejoint vendredi, en milieu de journée, un centre d'hébergement et de réinsertion du département, où il sera pris en charge et devra se soumettre à des soins psychologiques et psychiatriques. "Il sera entouré de médecins, de psychiatres, d’éducateurs, de gens bienveillants qui seront à la hauteur", assure son avocat, qui l’a conduit en voiture jusqu’à cet endroit où il devra tout réapprendre, lui qui n’a pas ouvert ou fermé une porte pendant 40 ans, geste interdit en prison.
Me Éric Maupin réclame aujourd’hui la réalisation d’un audit dans les prisons de France, où sont détenus selon lui "d’autres Michel Cardon". Mais combien ? "Cette statistique manque cruellement. Elle permettrait aux acteurs du monde pénitentiaire, judiciaire et aux avocats de se mobiliser", estime-t-il.