Promise par Emmanuel Macron, la suppression de la Cour de justice de la République figure bien dans le projet de loi réformant la Constitution présenté mercredi. Les ministres seront bientôt jugés par la Cour d’appel de Paris.
Décriée et jugée peu conforme aux principes de séparation des pouvoirs, la Cour de justice de la République (CJR) sera supprimée dans le cadre de la réforme constitutionnelle voulue par Emmanuel Macron et présentée, mercredi 9 mai, en Conseil des ministres. "Les membres du gouvernement sont responsables dans les conditions de droit commun", affirme le texte du projet de loi, qui précise que le Premier ministre, les ministres et les secrétaires d’État seront jugés par la Cour d’appel de Paris et ne pourront être mis en cause que pour des décisions qu’ils auraient prises et non "à raison de leur inaction".
Créée en 1993 après l’affaire du sang contaminé, la CJR n’a donc plus que quelques mois à vivre. Sa suppression est perçue comme une avancée démocratique et fait consensus au sein de la classe politique.
"Il n’y aura pas de point d’achoppement sur cette question dans la réforme constitutionnelle car c’est une juridiction qui souffrait de plusieurs défauts", juge Didier Maus, professeur à l’université Paul Cézanne Aix-Marseille et spécialiste de droit constitutionnel, contacté par France 24.
Premier défaut et non des moindres : la CJR donnait l’impression d’être favorable aux ministres qu’elle jugeait. Composée de douze parlementaires – six députés et six sénateurs – et de trois juges de la Cour de cassation, elle renvoyait l’image de politiques jugés par d’autres politiques.
Ces derniers ont-ils été trop indulgents avec leurs pairs ? Si chaque affaire est différente, toujours est-il que, depuis sa création, les quatre membres de gouvernement jugés ont été condamnés à des peines légères, voire dispensés de peine. Ce fut notamment le cas de l’ancienne ministre de l’Économie, Christine Lagarde, condamnée en décembre 2016 dans l’affaire Tapie pour "négligence" mais dispensée de peine. Une décision alors vivement critiquée.
Une commission de filtrage pour éviter l’avalanche de plaintes
Autre problème : "Les procédures devant la CJR conduisaient à découper les dossiers avec un volet ministériel d’un côté et un volet non ministériel de l’autre", souligne Didier Maus. Dans l’affaire Tapie, justement, Christine Lagarde était jugée devant la CJR quand son directeur de cabinet à Bercy, Stéphane Richard, était, lui, jugé en correctionnelle. "En réalité, il faut une unité du dossier pour juger correctement une affaire", estime le constitutionnaliste.
Enfin, la Cour de justice de la République ne permettait pas aux victimes de se constituer partie civile.
À l’avenir, les membres du gouvernement seront donc jugés par des magistrats de la Cour d’appel de Paris. Deviendront-ils pour autant des justiciables comme les autres ? Pas tout à fait puisqu’une commission des requêtes sera chargée de filtrer les plaintes avant qu’une commission d’instruction ne les examine pour juger de leur recevabilité.
"Une telle procédure est obligatoire pour éviter une avalanche de plaintes de gens mécontents de l’action d’un ministre et qui voudraient se servir de la justice pour des raisons politiques", juge Didier Maus.
La CJR fonctionnait selon le même principe. Au total, près de 1 500 plaintes ont été déposées par des particuliers depuis sa création, dont 40 ont fait l’objet d’une transmission au ministère public. Sur cette quarantaine de dossier, la commission d’instruction a ouvert 16 informations pour sept renvois devant la formation de jugement, dont trois en cours.
La CJR pourrait en effet juger trois anciens ministres avant sa disparition. L'ex-Premier ministre Édouard Balladur et son ex-ministre de la Défense François Léotard ont été mis en examen en 2017 pour "complicité d'abus de biens sociaux" pour des soupçons de financement politique grâce à des rétrocommissions illégales sur des contrats d'armement. Enfin, l'ex-garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas fait l'objet d'une enquête depuis janvier 2018. Il est soupçonné d'avoir transmis à un député des informations sur une enquête pour fraude fiscale le concernant.