logo

Kenya : le film "Rafiki"’ sélectionné à Cannes mais interdit dans son pays

"Rafiki", le premier long métrage d’une réalisatrice kényane sélectionné au Festival de Cannes, a pourtant été interdit vendredi par les autorités de Nairobi car il enfreindrait la loi contre l’homosexualité.

L’euphorie nationale aura été de courte durée après l’annonce, jeudi 12 avril, de la sélection du film “Rafiki” à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard. Il s’agit du premier film d’un réalisateur kényan, en l’occurrence une réalisatrice, Wanuri Kahiu, à être sélectionné par ce festival.

En effet, le Kenya Film Censorship Board (KFCB), l’instance étatique qui régule l’industrie cinématographique au Kenya, en a interdit, vendredi 27 avril, la projection dans le pays. Ainsi a-t-il douché l’enthousiasme qu’avait suscité cette sélection sur les réseaux sociaux, notamment au sein de la communauté LGBTQ.

Inspiré du livre "Jambula Tree" de l’Ougandaise Monica Arac de Nyeko, le film, dont le titre signifie "ami" en swahili , raconte l’histoire de deux jeunes Kényanes, Kena et Ziki, qui tombent amoureuses l’une de l’autre, à rebours du conformisme et des déterminismes sociologiques. Dès lors, elles se retrouvent confrontées à leurs parents et leurs voisins homophobes.

C’est en raison ''de son thème homosexuel et de son but évident de promouvoir le lesbianisme au Kenya, ce qui est illégal et heurte la culture et les valeurs morales du peuple kényan" que le film a été interdit, a justifié dans un communiqué le KFCB.

Réactions homophobes

"Je pense qu'il y a des publics matures non seulement au Kenya mais dans le monde entier qui sont capables de juger ce qui est bon ou mauvais. Ce n'est pas le rôle de la commission de censure", a réagi Wanuri Kahiu auprès de l’Associated Press avant d’ajouter : "Cela limite la liberté d'expression des artistes dans le pays et donc la croissance de l'industrie."

Le film Rafiki, interdi au Kenya

I am incredibly sorry to announce that our film RAFIKI has been banned in Kenya. We believe adult Kenyans are mature and discerning enough to watch local content but their right has been denied. #Cannes2018 #AKenyanFirst

  Wanuri (@wanuri) 27 avril 2018

Dans de nombreux pays d'Afrique, l’homosexualité est illégale et les personnes homosexuelles sont confrontées à un harcèlement sévère et des menaces physiques. Au Kenya, les rapports entre deux individus de même sexe sont punis de 14 ans de prison.

L’annonce du KFCB a aussi provoqué des réactions homophobes sur Twitter, suivant le hashtag #KFCBbanslesbianfilm.

Le film Rafiki provoque des réactions homophobes

Keep up the good work, you're right to ban the RAFIKI film

  Frank maina (@yeshuafactor) 27 avril 2018

Le film Rafiki provoque des réactions homophobes

@EzekielMutua ~ We banned the movie not the producer #KFCBbansLesbianFilm

  Isaack (@Isaackcheboiwo) 27 avril 2018

Lors du tournage, la réalisatrice avait pourtant reçu le soutien des autorités gouvernementales et de l’industrie cinématographique nationale. Mais le KFCB a accusé les producteurs d’avoir changé le script original, qui ne contenait pas de scènes d’intimité entre les actrices. "Notre point de vue est que la morale de l'histoire de ce film est de légitimer le lesbianisme au Kenya", a indiqué l’instance. "Toute tentative visant à introduire et à normaliser l'homosexualité au Kenya va à l'encontre de la loi et de la Constitution et doit être combattue", a-t-elle insisté.

"Du mauvais côté de l'Histoire"

Les activistes dénoncent une mesure qui tend à marginaliser les homosexuels et à les priver de moyens d'expression. "Pour être honnête, je ne suis pas vraiment surpris. Je savais que cela finirait pas arriver. Mais j'espérais que cela n'arrive pas", a affirmé Kevin Mwachiro, activiste et écrivain kényan, contacté par France 24. L'activiste estime que la commission de censure a outrepassé son mandat.

C'est la deuxième fois qu'un film sur les homosexuels est interdit au Kenya. Le premier, appelé "Les histoires de nos vies", réalisé en 2014 par un collectif d'artistes de Nairobi, racontait les conditions de vie de la communauté LGBTQ dans ce pays d'Afrique de l'Est. "C'est terrible que les contenus réalisés par les Kényans pour les Kényans soient interdits. En 2017, plusieurs œuvres d'artistes avaient aussi été retirées d'un projet du musée national appelé 'Sex and City'. (...) Ils sont du mauvais côté de l'Histoire", s'insurge Kevin Mwachiro.

Dans un entretien télévisé la semaine dernière, le président Uhuru Kenyatta avait déclaré que l'homosexualité allait à l'encontre de la culture et de la société kényanes, estimant que les droits des gays "n'ont pas grande importance pour le peuple et la république du Kenya".

L'interdiction du film intervient en plein débat national sur la situation de la communauté gay. Des parties du code pénal kényan considérées comme ciblant la communauté LGBT ont été contestées devant la Haute Cour de justice. En mars, une cour d'appel kényane avait jugé illégal le recours aux examens anaux forcés pour déterminer si deux hommes avaient des rapports homosexuels.