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À la faculté de Tolbiac à Paris, une mobilisation aux relents de Mai 68

Des étudiants bloquent une quinzaine d’universités pour protester contre les nouvelles modalités d'accès à l'université. Reportage à la faculté de Tolbiac, à Paris, où les grévistes, déterminés, discutent de convergence des luttes avec les cheminots.

Déjà douze jours que des étudiants occupent Tolbiac, une annexe de l’université Panthéon-Sorbonne spécialisée dans les sciences humaines et sociales. Pour prendre la mesure de la mobilisation, il faut jeter un coup d’oeil sur les murs de cette faculté, connue pour ses étudiants “très politisés et engagés”. Des affiches dénoncent “les violences policières et la chasse aux sans papiers et migrants”. On peut aussi y lire des inscriptions écrites pêle-mêle à l’aide de bombes aérosols comme : “du rail aux facs, bloquons tout ! Solidarité aux cheminots” ou “ne prenez plus l’ascenseur, prenez le pouvoir’’, ce célèbre slogan de Mai 68.

“C’est un musée ici”, lance Joséphine*, une jeune étudiante de 18 ans, en première année de géographie, venue assister dans l’amphithéâtre H à la réunion du comité de mobilisation qui décide des prochaines actions à mener. Ici à Tolbiac, comme dans les universités touchées par les manifestations en France (une quinzaine), c’est la veillée d’armes. Depuis le lundi 26 mars, les étudiants se relaient de jour comme de nuit pour bloquer salles de cours et amphithéâtres, en réponse à l’expulsion violente, mercredi 22 mars par des hommes cagoulés, des étudiants qui occupaient un amphithéâtre de la faculté de Montpellier. Ils protestent également contre la loi Vidal, du nom de la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal, votée en février par les parlementaires, qui modifie les règles d’accès à l’université pour les nouveaux bacheliers.

À Tolbiac, mardi 3 avril, lors d’une assemblée générale qui a réuni près de 1 500 personnes, les étudiants ont même voté un blocage “illimité” de la faculté. “Jusqu’à ce que la loi soit abrogée”, insiste Amine, 20 ans, étudiant en deuxième année d’histoire et en première ligne du blocus. Au risque de perdre un semestre ? “C’est préférable de perdre trois mois pour des acquis futurs”, explique une étudiante venue soutenir les occupants.

La loi pour l’Orientation et la réussite des étudiants (ORE), dite loi Vidal, crée une nouvelle plateforme Parcours Sup pour la gestion des vœux des futurs étudiants. Elle vise à classer les candidats en fonction de l’adéquation entre leur profil et les compétences requises pour les inscriptions en licence dans des filières auparavant non sélectives. Le classement doit permettre de départager les étudiants lorsque le nombre de candidatures dépasserait les places disponibles. A contrario du système de tirage au sort qui prévalait jusque-là.

Mais pour les étudiants, cette loi pénalise selon eux les personnes issues de milieux populaires. Comme Amine, qui vit sa première occupation, les grévistes de Tolbiac se disent déterminés à tenir pour faire plier le gouvernement. “Nous, nous ne sommes pas fatigués. Le mouvement prend de l’ampleur. Il y a quelques jours, on n'était que 200. Nous militons juste pour nos droits” explique-t-il, les yeux cernés.

Remake de Mai 68 ?

Ça grouille à l’intérieur de l’amphithéâtre H. Plus de deux heures que la réunion du comité de mobilisation a commencé et les échanges sont houleux, malgré les tentatives de modération de Jaspal de Olivieira, présidente du syndicat Unef Paris 1 (traditionnellement proche du Parti socialiste). Certains étudiants sont partis se ravitailler à la maison après avoir passé plusieurs nuits sur place.

Mais ceux qui sont restés n’arrivent pas à s’entendre sur les prochains choix. Comme par exemple la désignation d’un représentant qui sillonnera les plateaux de télévision. Mais qui parmi les adhérents de l’Unef, du NPA Jeunes (branche jeunesse du Nouveau parti anticapitaliste) ou d’autres organisations internes ? “Nous sommes unis. Mais il y a des organisations qui ont leur propre mode de fonctionnement. Nous nous méfions surtout que l'une d'entre elles récupère l’initiative à des fins politiques. Nous ne voulons pas que quelqu’un fasse une carrière politique sur notre dos” tranche Amine. D’autant plus que les étudiants ont adopté le principe d’une convergence des luttes avec les cheminots contre la réforme de la SNCF voulue par le gouvernement, les éboueurs qui manifestent pour un statut public unique dans la filière déchets, ou encore les postiers.

Cinquante ans après la naissance du mouvement du 22 mars qui allait aboutir en grève générale en mai, l’agitation dans les facs serait-elle dans les universités, un remake de mai 68 ? “Le parallélisme peut se faire. Les contextes sont différents, mais des maux existent”, pense Joséphine. Pour les jeunes d'aujourd'hui, il y a beaucoup trop de précarité, estiment les étudiants grévistes.

“Les apparences sont trompeuses, nuance cependant Patrice Louis, journaliste à la retraite qui a manifesté en mai 68, alors qu’il était étudiant à Nanterre et contacté par France 24. Les thèmes sont approchants, comme par exemple la notion de sélection. Mais en Mai 68, c’était extrêmement politique, sur fond de guerre du Vietnam. Sans oublier la lutte permanente contre les forces de l’ordre. Nous étions frustrés face aux interdits d’une société de De Gaulle, mais nous étions heureux. On n’avait pas les drames d’aujourd’hui. Quant à la fameuse convergence des luttes qui revient, je crains que la jeune génération ne connaisse une cruelle désillusion. Mais on ne peut pas présager de ce qui se passera.”

Une dynamique Nuit debout

Dans la cafétéria, juste à l’entrée de la faculté, les rayonnages sont sans dessus dessous. Les gérants, qui dépendent du Crous, sont en grève. Et les étudiants ont pris le relais pour amener de la nourriture : pain, légumes, tout ce qu’il faut pour un sandwich. Les prix sont libres. Marc*, look hipster, farfouille entre les sacs. Il vocifère. “Ce n’est pas normal que des gens soient payés 1 200 euros brut et qu’on ne leur paye pas des heures sup, alors qu’ils sont en permanence avec nous. Nous sommes dans une dynamique Nuit debout, comme en 2016 contre la Loi travail”.

Mais Nuit debout a fait long feu et la convergence des luttes ne fait pas l’unanimité. Katia, 19 ans, étudiante en sciences politiques à l’Université Paris 8, où le blocage a été reconduit, doute du fait que les revendications “soient mélangées”. “Je pense qu’on sera peu crédible si on est sur tous les fronts en même temps.” Au contraire, rétorque Amine, “la réforme que M. Macron souhaite imposer s’inscrit dans un ensemble de projet. C’est une attaque à l’ensemble du service public.Il n’y a aucune logique à ce que chacun milite de son côté" . Nous on milite pour que tout le monde ait accès à l’éducation. Notamment dans les banlieues qui sont les plus défavorisées. Les ouvriers militent pour leur travail. Mais on milite également pour leurs enfants”.

Assis en tailleur, à même le sol, quelques étudiants discutent devant des amphithéâtres où des cours alternatifs en histoire et en sciences politiques sont dispensés par des professeurs qui soutiennent le blocus. Une sorte d’université auto-gérée par les étudiants. “Les médias véhiculent des images négatives de notre lutte. On nous voit comme des utopistes ou des fainéants. Alors que c’est tout le contraire’’, affirme un étudiant.

Venus en soutien à leurs aînés, quelques lycéens se sont glissés parmi les occupants. Comme Anthonin, 17 ans, en Bac pro production graphique, qui a déjà manifesté plusieurs fois contre la Loi travail en 2016 dans cette même université. “Tout ce qui est en train de se faire nous concerne. L’année prochaine nous aussi nous entrerons à l’université”. Justement, les lycéens ont prévu de leur emboîter le pas dès la semaine prochaine. Plusieurs lycées de Caen, Dax ou Mont-Marsan sont déjà touchés.

*Les prénoms ont été changés