
Depuis des années, le Parti démocrate italien est la cible des diatribes antisystème du Mouvement 5 Étoiles, vainqueur des législatives du 4 mars. Mais une alliance entre les deux partis constituerait une option pour former un gouvernement.
Il va jeter l’éponge, mais pas tout de suite. L’ancien Premier ministre italien Matteo Renzi a annoncé lundi 5 mars qu’il quitterait la direction de sa formation de centre gauche, le Parti démocrate (PD), défaite aux élections législatives la veille. Mais, a-t-il ajouté, réserve de taille, il ne démissionnera qu’après la formation d’un gouvernement et continuera d’ici là à diriger son parti à la dérive.
Il y a une raison évidente à cette démission différée. Matteo Renzi veut à tout prix éviter une alliance contre-nature entre son parti et le grand vainqueur des élections, le Mouvement 5 Étoiles (M5S), parti antisystème qui a besoin d’alliés pour établir une majorité au Parlement.
"Le peuple italien nous a demandé d’être dans l’opposition, et c’est à cette place que nous siègerons", a affirmé l’ancien Premier ministre aux journalistes, ajoutant que le Parti démocrate ne serait pas "un soutien pour les forces antisystème".
Deux vainqueurs, deux perdants, pas de majorité
Le scrutin du 4 mars a sacré deux vainqueurs : le premier est le Mouvement 5 Étoiles, aujourd’hui incontestablement la plus importante force politique du pays, le second est la Ligue du Nord. Le parti anti-immigration a supplanté Forza Italia, la formation de Silvio Berlusconi, devenant ainsi la première force de droite. La Ligue du Nord et le M5S se sont tous deux proclamés légitimes à former un gouvernement, mais ne disposent pas de la majorité nécessaire au Parlement.
Ces élections ont également produit deux perdants : Berlusconi, dont la tentative de come-back a échoué, et le Parti démocrate, dont l’électorat s’est érodé après cinq années éprouvantes au pouvoir et qui a perdu les deux tiers de ses sièges. Les 112 députés démocrates élus vont cependant être les plus convoités de l’Assemblée dans le grand marchandage qui s’annonce.
"La question-clé de ces prochains jours est : que va faire le Parti démocrate ?", a affirmé à l’AFP Giovanni Orsina, professeur d’histoire contemporaine à l’université Luiss de Rome.
Sur le papier, le PD a davantage en commun avec le Mouvement 5 Étoiles qu’avec une coalition de centre droit, particulièrement si celle-ci est dominée par une Ligue du Nord eurosceptique qui dérive de plus en plus vers l’extrême-droite.
Un terrain d’entente est envisageable, par exemple sur les questions d’environnement, de lutte contre la corruption, ou de politique économique – bien que sur ces thèmes, le M5S affiche des positions plus radicales que le Parti démocrate.
Selon Luciano Fontana, rédacteur en chef du Corriere della Sera, le programme économique du M5S "est quasiment d’extrême gauche". Il propose notamment "davantage de protectionnisme, un revenu universel, une hausse des investissements publics et le gel des privatisations". Certains analystes ont suggéré qu’un petit parti de gauche, la coalition Libres et égaux, pourrait faire le pont entre le PD et le Mouvement 5 Étoiles et rendre cette alliance possible.
Mais des divergences politiques majeures existent entre les deux partis, estime Pierangelo Isernia, professeur de science politique à l’université de Sienne, contacté par France 24. Il relève que le M5S a des partisans aussi bien à droite qu’à gauche, et parle rarement d’une seule voix.
"Cette formation a une position très ambigüe sur le plan européen et souhaite se défaire des contraintes budgétaires endossées par l’Italie durant le mandat du Parti démocrate ; certains de ses membres veulent même quitter l’Otan" poursuit-il.
"Suicidaire"
Pour l’instant, le principal obstacle à un rapprochement est Matteo Renzi lui-même. Mardi, il a mis au défi les membres de son parti favorable à une alliance : "Venez le dire ouvertement", leur a-t-il lancé. Il y peu de chances que ces voix se fassent entendre : l’ancien Premier ministre a lui-même désigné les candidats de son parti dans la plupart des circonscriptions. Beaucoup de ces heureux élus ne sont donc pas prêts de sortir du rang, pour l’instant du moins.
Quelques dissidents militent cependant pour un changement de tactique. Michele Emiliano, gouverneur de la région méridionale des Pouilles, une figure critique de son propre parti, a fait valoir que le PD pourrait apporter un "soutien extérieur" à un gouvernement 5 Étoiles. Dans une interview au quotidien Il Fatto Quotidiano, il a épinglé Renzi pour n’avoir pas immédiatement démissionné, regrettant qu’il soit "prêt à paralyser le système politique dans le seul but de rester accroché au pouvoir".
"Un choc sismique dans le paysage politique italien"
Un éventuel rapprochement comporte en outre, pour les deux mouvements, le risque d’éloigner leurs électeurs respectifs. Ainsi, le refus de se compromettre avec les partis traditionnels "corrompus" a toujours été le leitmotiv du Mouvement 5 Étoiles. Pas sûr que le noyau dur de ses électeurs cautionne ces tractations.
Réciproquement, une alliance de circonstances ne soulèvera probablement pas l’enthousiasme des électeurs du PD, le parti ayant essuyé, durant le mandat écoulé, de constantes critiques de la part du Mouvement 5 Étoiles.
Les sceptiques de gauche avancent également que jouer un rôle de second plan dans une coalition contre-nature peut conduire au désastre, comme les sociaux-démocrates allemands l’ont appris à leurs dépens après avoir noué une alliance avec la conservatrice Angela Merkel.
"Une alliance avec le 5 Étoiles serait suicidaire pour le PD : les coalitions aussi déséquilibrées ont toujours desservi les partis de gauche en Europe, et dans ce cas, cela signifierait jouer un rôle de second plan avec un partenaire extrêmement imprévisible", met en garde Pierangelo Isernia.
Opposition Nord/Sud
L’autre donnée que le président italien Sergio Mattarella aura en tête lorsqu’il entamera les consultations formelles avec les dirigeants des partis, est le traditionnel déséquilibre géographique entre le Nord, prospère, et le Sud, économiquement à la traîne.
Cette opposition s’est ressentie dans le vote du 4 mars : la droite a resserré son emprise sur le nord du pays, tandis que le Mouvement 5 Étoiles a gagné les faveurs du Sud, la gauche se maintenant dans quelques circonscriptions du centre.
En Sicile, où une coalition de centre-droit a remporté des élections régionales il y a six mois à peine, la victoire du M5S a été tellement écrasante que les candidats ont manqué pour occuper tous les sièges conquis.
"L’Italie a toujours été gouvernée sur deux jambes : la jambe du Sud et celle du Nord-Ouest", analyse Isernia. Ce Nord-Ouest industriel abrite nombre des PME qui ont longtemps été le pilier de l’économie italienne.
"Les chrétiens-démocrates [qui ont gouverné l’Italie de l’après-Seconde Guerre mondiale aux années 1990, NDLR], puis les gouvernements successifs de Silvio Berlusconi, ont su s’appuyer sur ces deux jambes, mais le centre-droit a perdu le vote du Sud au profit du M5S", analyse le chercheur.
En tant que membre du Parti démocrate, le président Mattarella pourrait être tenté de demander à ses collègues du parti de guider les nouveaux élus du Mouvement 5 Étoiles dans leur première tentative de gouverner. Mais ce faisant, il prendrait le risque de laisser la puissante et prospère Italie du Nord, dont le cœur bat à droite, sans représentant au gouvernement.
"Si le M5S et le Parti démocrate s’allient, nous aurions pour la première fois un gouvernement sans 'jambe nord'", avance Isernia. "Ça reste pour le moment possible, mais cela ne produirait pas un gouvernement stable et durable."
Traduit de l'anglais par Françoise Marmouyet. Lire l'original ici.