Le philosophe français Francis Jeanson, proche de Jean-Paul Sartre et engagé aux côté des militants FLN durant la guerre d'Algérie, est mort à l'âge de 87 ans. Il avait fondé le réseau clandestin pro-FLN dit des "porteurs de valise".
Le philosophe français Francis Jeanson, l’un des rares penseurs français de son époque à s’être engagé aux côtés des combattants du Front de libération nationale (FLN) algérien au début de la guerre d’Algérie, est décédé à l’âge de 87 ans à la clinique d’Arès, près sa ville natale de Bordeaux.
Jeanson, pour qui la pensée ne pouvait que se traduire par des actions et des engagements concrets, fut l’un des premiers à élaborer une morale de l’action. Né le 7 juillet 1922, licencié de lettres et philosophe de formation, il a 21 ans lorsqu’il décide de rejoindre les Forces françaises libres d’Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale. La paix revenue, il rejoint les éditions du Seuil et rencontre Camus et Sartre. Celui-ci lui confie les rennes de sa revue "Les Temps modernes", haut lieu du débat politique. Parallèlement, Jeanson crée et dirige aux éditions du Seuil la collection "Ecrivains de toujours".
"Héberger un Algérien, c’est peut-être soustraire un homme à la torture"
Il retourne en Algérie en 1948 et découvre une situation dont il comprend vite qu'elle est intenable. Après une conférence dans la ville de Sétif, où le sous-préfet le recevant dans “sa” ville lui fait visiter une place publique où se dresse un monticule de chaux qui s’avère être fait de cadavres carbonisés, il arrive à la conclusion "qu’il faut faire quelque chose, c’est trop énorme, c’est trop grave", raconte l’universitaire Daho Djarbal dans le quotidien algérien Liberté.
Ce sera la source d'un engagement radical, qui le conduira quelques années plus tard à plonger dans la clandestinité et à créer un réseau d'aide au FLN, réseau dit des "porteurs de valise", qui collectait et transportait des fonds et faux-papiers pour les rebelles algériens. Il se met lui-même et sa famille en danger, ouvrant sa maison aux militants du FLN. Il disait alors "qu’héberger un Algérien, c’est peut-être soustraire un homme à la torture". Celui qui se voulait le défenseur des causes justes explique son combat dans son livre "Notre guerre", paru en 1960 et immédiatement saisi. A ceux qui lui reprochaient de soutenir les ennemis de son pays, il répond qu’il défend les valeurs de la France, qui s’était elle-même trahie.
Faire sortir la maladie mentale des murs de l’hôpital
Brièvement interné en sanatorium, jugé par contumace et condamné en octobre 1960 à dix ans de prison ferme, il fuit un temps la France jusqu’à son amnistie en 1966. André Malraux le nomme par la suite directeur de la Maison de la culture de Chalon-sur-Saône, où il met en pratique sa théorie de l’accès publique à la culture qui va irriguer l’action culturelle tout au long des années 1970.
Dans la dernière partie de sa vie, Jeanson se consacre aux difficultés du milieu psychiatrique. A une époque où les postures dogmatiques font des dégâts, il participe activement aux débats visant à faire sortir la maladie mentale des murs de l’hôpital et soutient une association de formation du personnel psychiatrique, la Sofor.
Actif et engagé jusqu’à sa mort, il devient président de l’association Sarajevo en 1992. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont "Sartre par lui-même" (1955) et "Le problème moral et la pensée de Sartre" (1965), "La Foi d'un incroyant" (1976), "Eloge de la psychiatrie" (1979), "Algéries" (1991) et "Conversations privées, 1974-1999" (2000).