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Nationalisation temporaire des chantiers navals STX, gestion de la crise migratoire et résolution de la crise politique en Libye : retour sur une série de couacs qui ternissent la relation franco-italienne depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron.

Moins de 3 mois après l’élection d’Emmanuel Macron, les motifs de crispations entre la France et l’Italie se multiplient. Déjà éprouvée par la question des migrants en Méditerranée et celle de la résolution de la crise politique en Libye, les relations diplomatiques entre les deux pays ont été une nouvelle fois mises à mal, jeudi 27 juillet, avec l’annonce française d’une nationalisation provisoire des chantiers navals STX de Saint-Nazaire.

Le ministre italien de l'Économie, Pier Carlo Padoan, et de celui de l'Industrie, Carlo Calenda, ont immédiatement qualifié cette prise de contrôle, promise au groupe public italien Fincantieri, de "grave et incompréhensible". Dans la soirée, pour calmer les esprits, le président Emmanuel Macron a téléphoné au chef du gouvernement italien Paolo Gentiloni dans le but de dissiper toute mauvaise interprétation. Il lui assuré vouloir faire "une large place" au groupe italien en insistant sur le caractère transitoire" de cette décision française. "M. Gentiloni était très apaisé. Ce schéma était connu, il le savait et le comprend", a jugé bon de souligner la présidence française dans un communiqué. Toutefois, la proclamation de cette entente cordiale n’en dissimule pas moins les faits

Emmanuel Macron "ne s’intéresse pas tellement à l’Italie"

"La stratégie d’Emmanuel Macron me rappelle celle de la Démocratie chrétienne, le parti qui a dominé la vie politique italienne jusqu’à la moitié années 90. Ni de droite, ni de gauche, au-dessus des partis. Ce coup de téléphone est révélateur. Il s’agit d’être aimable, catholique quelque part, de donner l’image d’une bonne éducation à la française mais au fond, le seul but du président français est la défense des intérêts français", analyse le correspondant de la Stampa à Paris, Leonardo Martinelli.

"Plus les semaines passent et plus Macron montre un visage vieilli, celui d'une France, de la France de toujours avec ses instincts dirigistes, étatiques, protectionnistes et souverainistes", estime le quotidien Il Sole 24 Ore, très lu dans les milieux d’affaires italiens. "Macron ne relance pas mais divise l'Europe", conclut le journal.

Pourtant, "au moment de son élection, Emmanuel Macron a bénéficié d’une ‘macron-mania’ totale en Italie", se souvient Leonardo Martinelli. "Aujourd’hui, c’est la douche froide. Les médias sont très négatifs et l’opinion publique commence à être critique. L’Italie espérait beaucoup de l’européisme de Macron. Mais il ne s’intéresse pas tellement à l’Italie, occupé à reconstruire l’axe franco-allemand, ce qui est compréhensible."

"L’Italie est dans une période de relative faiblesse politique"

En début de semaine, la rencontre à Paris, à l'invitation du président français, des rivaux libyens Fayez al-Sarraj - chef du gouvernement d'union nationale soutenu par l’Italie, basé à l’Ouest - et le général Khalifa Haftar, - l’homme fort de l’est du pays -, avait déjà fortement irrité les autorités italiennes, qui craignent d'être exclues du processus de paix en cours dans son ancienne colonie. "Il y a trop de formats ouverts en Libye, trop de médiateurs, trop d'initiatives", avait fustigé le chef de la diplomatie italienne Angelino Alfano dans les colonnes de La Stampa. "Contrairement à ce qui a pu être relayé en Italie, il y a eu une préparation très étroite" avec l'Italie de cette rencontre, et "plusieurs discussions" avec Rome, selon l'Élysée.

Autre sujet de tension, la gestion de la crise migratoire. Fin mai, soit une quinzaine de jours après son arrivée au pouvoir, le chef de l’État français avait admis que l'Europe n'avait pas "suffisamment tôt entendu les cris d’alerte qui étaient lancés par l’Italie", confrontée à un afflux massif de migrants en provenance de Libye. Des cris d’alerte toujours d’actualité, mais toujours pas entendus, constatent aujourd’hui les Italiens. La France continue de bloquer l’accès à son territoire aux migrants massés à la frontière franco-italienne.

Pour Leonardo Martinelli, ces dissensions en série entre les deux pays ne tiennent pas qu’à la personnalité d'Emmanuel Macron, mais également à celle de Paolo Gentiloni. "C’est un homme politique capable, honnête mais faible", dit de son Premier ministre le journaliste italien.  "Je me demande si tout cela se serait passé de la même manière si Emmanuel Macron avait eu en face de lui Matteo Renzi [ancien chef du gouvernement italien, NDLR]. Je ne pense pas, je pense qu’il aurait agi différent."

Dans ce contexte tendu, Paris essaie malgré tout de sauver les apparences. La ministre de la Culture Françoise Nyssen s'est ainsi rendue jeudi à Rome pour lancer l'idée d'un "pass culture européen" sur le modèle de celui mis en place par l'Italie pour les jeunes et que la France a aussi prévu d'adopter. Le même jour, la secrétaire d'État aux Affaires européennes Nathalie Loiseau était aussi en déplacement en Rome pour évoquer notamment la question migratoire.

L'Italie est dans "une période de relative faiblesse politique", constate Leonardo Martinelli. Le pays organisera en effet dans un an des élections, qui pourraient porter aux pouvoirs les populistes. Cette "faiblesse" semble inciter Paris à attendre le nom d'un nouvel interlocuteur avant de s'engager avec l'Italie sur des grands chantiers.