
Qualifié pour le deuxième tour de la primaire de la droite et du centre mais largement distancé par François Fillon, Alain Juppé peut-il transformer le scrutin en présidentielle avant l’heure et attirer à lui progressistes et électeurs de gauche ?
Alain Juppé le sait : il n’a, sur le papier, aucune chance de gagner contre François Fillon (44,2 %), dimanche 27 novembre, au deuxième tour de la primaire de la droite et du centre. Distancé de plus de 600 000 voix lors du premier tour, et alors que Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire ont annoncé qu’ils soutenaient François Fillon, la montagne semble définitivement trop haute à gravir pour le maire de Bordeaux. Celui-ci ne dispose de presque aucune réserve de voix, à l’exception, à ce jour, de celles de Nathalie Kosciusko-Morizet (environ 100 000).
La question de son abandon, dès l’annonce des résultats, dimanche 20 novembre, s’est donc légitimement posée au sein de son équipe, pour finalement être écartée. "J’ai décidé de continuer le combat !", a-t-il lancé dès le début de son discours, dimanche soir, comme pour rassurer ses troupes.
Il lui faut désormais décider de sa stratégie. Les grands principes sont connus : présenter François Fillon comme un candidat ultra-libéral proposant des réformes à la fois beaucoup trop dures pour les Français et non réalisables en l’état, pendant que lui s’efforcera d’incarner le candidat des "réformes crédibles" et "équitables", dont "tous les Français tireront bénéfice".
Le problème, pour Alain Juppé, c’est que le cœur de l’électorat de droite, à la vue des résultats du premier tour de la primaire, ne veut pas de la modération qu’il propose. Celle-ci aurait été sa carte maîtresse contre les outrances identitaires et sécuritaires d’un Nicolas Sarkozy. Mais face au sérieux et à la crédibilité incarnés par François Fillon, elle devient un point faible.
Alain Juppé, candidat des anti-libéraux et des progressistes
Sauf… Sauf à oser sortir du cadre. Sauf à vouloir transformer la primaire de la droite en une élection présidentielle avant l’heure, en appelant clairement les électeurs du centre, mais aussi et surtout ceux du centre-gauche, à se rallier à lui.
"C’est un combat projet contre projet qui s’engage", a tout de même affirmé Alain Juppé dimanche soir, comme si deux visions diamétralement opposées de la société française étaient ici proposées. Cette phrase n’est pas anodine. Et on ne peut s’empêcher de penser à l’élection présidentielle de 1995 et au duel fratricide entre Jacques Chirac et Édouard Balladur, le premier menant une campagne "à gauche" axée sur la "fracture sociale" et dépeignant le second comme un conservateur libéral coupé des réalités des Français.
Avouons que voir Alain Juppé, qui mit la France dans la rue trois semaines durant, en novembre et décembre 1995, se transformer en champion des couches populaires face à François Fillon, vingt et un ans plus tard, ne manquerait pas d’ironie.
Il n’est en tout cas pas impossible que le maire de Bordeaux appelle, une nouvelle fois, les déçus de François Hollande à voter pour lui au second tour. Avant le premier, il s'était appuyé sur l’anti-sarkozysme des électeurs de gauche, conscient que le vainqueur de la primaire a de fortes chances d'accéder à l'Élysée au printemps prochain.
Il n’y a donc aucune raison qu’il ne récidive pas en soulignant non seulement, les velléités libérales de François Fillon, mais aussi son conservatisme sur les questions de société. Alain Juppé, ou son équipe de campagne, ne devrait en effet pas manquer de rappeler que le député de Paris est le candidat qu’a choisi de soutenir le mouvement Sens Commun issu de la Manif pour Tous et la plupart des "catholiques tradi".
Alain Juppé endosserait alors un costume véritablement inédit, à savoir celui du candidat des anti-libéraux et des progressistes. Reste à savoir si l’outsider de la course voudra vraiment aller jusqu’au bout de cette démarche, et entrer ainsi en conflit ouvert avec son propre parti.