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Internet, le grand journal intime des personnes esseulées

Alors qu'il est de bon ton de reprocher à Internet de nuire à la communication, la Toile reste un lieu de prédilection pour recueillir les témoignages, récits et complaintes d'internautes déprimés.

Longtemps, on a accusé Internet d'isoler les gens. "Regarde tous ces écrans... Les gens ne se parlent même plus", "Un e-mail, c'est quand même pas la même chose qu'un coup de fil" et autres "Ce n'est pas ça, la vraie communication".

Pourtant, pour de nombreuses personnes très esseulées, la Toile est une fantastique soupape de décompression pleine de potentialités pour se confier. Posts de forum pour chercher du réconfort, blogs où s'épancher sur sa mélancolie, bouteilles à la mer sur les réseaux sociaux... Face à la misère affective, Internet devient une immense agora, une grouillante arène, une place publique où écrire son désespoir... et parfois réellement un lieu où trouver conseils et soutien.

Internet est aussi pluriel que la solitude. "Le terme de solitude renvoie soit à un fait soit à un sentiment, c’est-à-dire à une solitude réelle ou une solitude ressentie. En effet, on peut être seul ou se sentir seul", selon l'infirmière Hélène Peynet.

Internet, journal intime du monde...

Par manque de confiance en soi, par timidité maladive, par complexes qui rongent, prendre la parole en public et se confier à ses proches peut être laborieux. En revanche, tenir un journal en ligne présente, en plus des avantages du journal intime (extériorisation des émotions, prise de recul à travers l'écriture, verbalisation d'un sentiment de tristesse, etc), celui de jeter son texte dans l'immense société que représente la vie en ligne. Avec l'espoir d'être lu sur son blog ou sur une page Facebook dédiée, les mots se chargent de sens.

On l'avait déjà vu avec les internautes endeuillés qui se recueillent sur Google Street View pour rendre visite à leurs morts immortalisés par une voiture Google qui passait là au bon moment : Internet n'est pas qu'un réseau sur lequel on commente la réalité, Internet est à la fois le miroir de la réalité et une autre forme de réalité.

"Je vivais une certaine période de mal-être et d'anxiété et j'avais beaucoup de questions à poser mais vraiment très peur d'être jugée. Le dilemme : les seules personnes qui me connaissent assez pour m'aider étaient par définition mes amis, mais mes amis étaient aussi les dernières personnes sur Terre à qui je voulais tout raconter, de peur qu'ils s'inquiètent trop et me fassent encore plus stresser", explique Céline (prénom changé), 29 ans.

"Avec à peine de quoi payer un loyer et mes études à Paris, je ne me voyais pas foncer chez le psy. C'est là qu'Internet m'a beaucoup aidée : j'ai rédigé des paragraphes et des paragraphes pour expliquer tout mon malheur... C'est con, c'était sur Doctissimo, le truc dont tout le monde se moque gentillement. J'y croyais pas trop non plus, c'était plus un premier post, comme ça, pour voir. Mais j'ai eu une réponse dans l'heure, puis le fil de la conversation a continué", poursuit celle qui va mieux aujourd'hui et assure avoir reçu "les meilleurs conseils" sur le portail de santé.

Il est vrai qu'un rapide tour dans l'onglet "Dépression, déprime, stress" de la rubrique "Psychologie" de Doctissimo suffit à constater le foisonnement des conversations engagées. Certaines discussions ont commencé il y a six ans et continuent d'ailleurs encore aujourd'hui. 

"L'avantage que je trouve au fait de parler par posts de forum interposés, c'est que tu t'adresses à de parfaits inconnus : ça t'oblige à objectiver ta situation, essayer d'expliquer ce qui ne va pas, synthétiser, tout en sachant que derrière ça, les gens qui te liront ne peuvent pas partir avec des idées toutes faites de ce que tu devrais faire ou ne pas faire puisqu'elles ne te connaissent pas dans la vraie vie", écrit Olivier, 33 ans, dans un e-mail adressé à Mashable FR.

Autre preuve du pouvoir d'Internet comme médiateur : la peur (de se ridiculiser, de se dégonfler, d'attendre trop longtemps, de payer trop cher...) qu'ont beaucoup d'aller consulter et la généralisation des cabinets de psy en ligne. "Contrairement à une consultation en cabinet qui peut demander un long délai d'attente, la consultation en ligne peut se faire rapidement, afin de répondre à une question, un sentiment de crise, un besoin d'aide", promet ainsi Jennifer Martin, psychologue et psychothérapeute diplômée de Paris VIII.

... qui ne remplace pas un suivi professionnel 

Bien sûr, même avec toute la bienveillance du monde, un forum n'a pas le même rôle que celui d'un suivi psychologique – personnalisé et sur le long terme. À ce titre, se confier sur un forum, c'est comme vérifier la signification de quelques symptômes fiévreux sur la Toile : ça peut aider à offrir des débuts d'explications, mais il faut garder en tête que la plupart du temps, les commentaires en ligne viennent de nos pairs, rarement de professionnels de la santé.

Reste qu'on ne va pas consulter un psy comme on décide de soigner un rhume : avant de se résoudre à (ou d'assumer d'aller) "voir quelqu'un" comme le veut l'expression consacrée volontairement pudique, de nombreuses personnes esseulées passent d'abord par cette lucarne sur le monde qu'est l'écran d'ordinateur.

En se baladant sur les forums consacrés au mal-être, il n'est d'ailleurs pas rare de tomber sur des posts qui frappent par leur grande détresse. Mais on peut aussi régulièrement se réjouir de ces autres internautes qui se rendent immédiatement disponibles pour dissuader les uns et les autres de "faire une bêtise".

Il faut reconnaître que l'écriture peut être un excellent médiateur, accompagné des "ressources propres à Internet que sont les mises en relation virtuelles des utilisateurs". Avec les mots, on peut "mettre les utilisateurs en relation les uns avec les autres et favoriser l'échange en partant de l'hypothèse que certaines personnes peuvent également trouver du soutien et des réponses chez leurs pairs", fait valoir le Centre de Prévention du Suicide en Belgique.

C'est sans doute en cela qu'Internet est un fantastique outil : il n'a pas la prétention de remplacer les psychologues et les psychiatres, et ne vole pas nécessairement la place des professionnels de la santé puisqu'il intervient là où personne n'intervenait avant.

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