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Rupture du Front al-Nosra et d'Al-Qaïda : "Un acte de renoncement"

Pour permettre à sa branche syrienne, le Front al-Nosra, de poursuivre ses objectifs, Al-Qaïda a avalisé une scission, annoncée jeudi. Une séparation à l'amiable où chacun trouve son compte.

Le Front al-Nosra, branche d'Al-Qaïda en Syrie, a annoncé jeudi 28 juillet qu'il rompait ses liens officiels avec le groupe islamiste fondé par Oussama Ben Laden et prenait désormais le nom de Fateh al-Cham (Front de conquête de la Syrie, en arabe). Il ne s’agit en aucun cas de rupture idéologique, mais d’une habile manœuvre politique pour mieux se concentrer sur ses objectifs sur le territoire syrien, explique Wassim Nasr, spécialiste des réseaux jihadistes à France 24.

France 24 : Comment le Front al-Nosra en est-il arrivé à se séparer d'Al-Qaïda ?

Wassim Nasr : Les leaders du groupe estiment aujourd'hui que le combat pour le pouvoir en Syrie dépasse les questions d'affiliation aux organisations, dont Al-Qaïda. Pour eux, il faut s'ouvrir à tout le monde. Cela faisait environ un an qu'il y avait des pressions en interne au sein du Front al-Nosra pour rompre avec Al-Qaïda, car certains estimaient que ce "label" apportait une mauvaise couleur à leur cause. Cela a débouché récemment sur un grand débat entre chefs du groupe, locaux et étrangers, qui en sont arrivés à la conclusion qu'il fallait le faire.

Le Front al-Nosra a alors contacté la centrale d'Al-Qaïda, qui a donné son aval. C'est ainsi que le leader d'Al-Nosra, Abou Mohamed al-Joulani, a pu annoncer la rupture dans un communiqué vidéo, où il apparaît pour la première fois à visage découvert et accompagné de chefs d'Al-Qaïda.

Le but est donc d'aider le Front al-Nosra à renforcer sa présence en Syrie.

Pour Al-Nosra, c'est une manœuvre de politique interne. Cela va leur permettre de s'allier avec d'autres groupes rebelles syriens qui jusque là étaient rebutés par l'affiliation à Al-Qaïda. C'est une sorte d'entreprise de légitimation. Et le Front al-Nosra peut désormais se présenter comme une organisation strictement syrienne, sans financement étranger. Cela a suscité pas mal de débats au sein du groupe, les étrangers d'Al-Nosra notamment ne voulaient pas se dissocier d'Al-Qaïda.

Il y a aussi dans l'air cet accord entre les Américains et les Russes, qui vise à différencier Al-Nosra du reste des rebelles. Cela aurait créé un clash entre le Front et les groupes rebelles [qui comme Al-Nosra luttent contre les forces du régime Assad, NDLR]. La direction du groupe a préféré prendre les devants. Il ne s'agit pas que de changer de tee-shirt. Ils sont assez sûrs d'eux vis-à-vis des groupes rebelles et vis-à-vis de leurs propres combattants pour assumer une telle décision.

Finalement, cela montre qu'ils pensent arriver à ce qu'ils veulent en Syrie sans le soutien d'Al-Qaïda. Politiquement, c'est habile, ils se détachent du label, mais ils continuent sur la même voie.

Mais c'est aussi une prise de risques. Cela peut aussi ne rien changer à la perception du groupe de la part des autres acteurs sur le terrain syrien. On ne sait pas si leur stratégie va fonctionner.

C'est une rupture d'un commun accord. En quoi Al-Qaïda y trouve-t-elle son compte ?

Pour les dirigeants d'Al-Qaïda, c'est un acte d'abnégation. Leur message, c'est que contrairement au groupe jihadiste rival État islamique (EI), gouverner directement ne les intéresse pas, ils sont là avant tout pour servir les musulmans, ils ne veulent pas s'accaparer le pouvoir. C'est une manœuvre politique assez habile. Car il faut le rappeler, Al-Qaïda se coupe ainsi de sa branche la plus puissante au monde.

C'est rare qu'une branche quitte Al-Qaïda avec l'aval de l'organisation. Mais il faut se souvenir que les dirigeants d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri et son prédecesseur Oussama Ben Laden, avaient conseillé à des groupes de ne pas trop mettre en avant leur appartenance à Al-Qaïda afin de mieux servir leur cause. C'était le cas notamment pour les Shebab en Somalie ou pour Ansar al-Charia en Tunisie et en Libye.

Car le but d'Al-Qaïda, au-delà de l'idéologie islamiste, c'est d'être imbriqué dans les dynamiques locales pour durer dans le temps. C'est une manière de se différencier de l'EI en disant, "eux, ce qui les intéresse c'est le pouvoir, mais nous, nous voulons gouverner avec les forces locales".

Rupture du Front al-Nosra et d'Al-Qaïda : "Un acte de renoncement"