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Lutte anti-terroriste : les propositions de Nicolas Sarkozy passées au crible

Dans son intervention sur TF1 dimanche soir, Nicolas Sarkozy a estimé, en parlant de la lutte anti-terroriste, que "tout ce qui aurait dû être fait depuis 18 mois ne l’a pas été". Mais a-t-il vraiment la solution ? Décryptage.

"Qu’auriez-vous fait de plus Monsieur Sarkozy ?" Face aux critiques adressées au gouvernement par l’ancien président de la République, qui a estimé dimanche soir sur TF1 que "tout ce qui aurait dû être fait depuis 18 mois ne l’a pas été", la journaliste Anne-Claire Coudray a mis les pieds dans le plat. Sans se faire prier, Nicolas Sarkozy a égrainé une série de propositions. Mais sont-elles réellement novatrices et surtout applicables ?

N. Sarkozy : "Nous demandons depuis 18 mois que la consultation de sites jihadistes soit un délit. Ça a été voté en juin, et ne rentrera en vigueur qu’en octobre".

Contrairement à ce qu’affirme Nicolas Sarkozy, le gouvernement n’est pas resté les bras ballants pendant un an et demi. Depuis le 13 novembre 2015, la loi condamne le fait de "consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne ou détenir des documents provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie". Des éléments qui pouvaient prouver, aux yeux de la justice, une "entreprise individuelle terroriste" mais ne constituait pas un délit en soi. 

Des parlementaires ont donc souhaité renforcer ce dispositif. Une proposition de loi sur la lutte contre le terrorisme, issue des sénateurs de droite, a alors été déposée début 2016. Le gouvernement l’avait alors critiquée, estimant que le dispositif ne serait pas conforme aux exigences constitutionnelles. En mars, le Sénat a introduit un amendement instaurant le délit de "consultation habituelle de sites terroristes" à l’exception faite des personnes de "bonne foi" : à savoir les journalistes, les chercheurs ou les enquêteurs qui les consulteraient à "titre professionnel".

Le texte, intégré dans la loi de réforme pénale, a enfin été adopté par l’Assemblée le 25 mai dernier. Il punit "le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes" de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Un dernier obstacle à franchir toutefois : cette mesure pourrait encore être censurée par le Conseil constitutionnel.

N. Sarkozy : "Nous demandons la création de centres de déradicalisation. Pas un seul n’a ouvert en 18 mois"

Certes, ils n’ont pas encore ouvert, mais c’est en cours. Le gouvernement a annoncé en mai qu’un centre de réinsertion pour "personnes radicalisées" ou susceptibles de basculer dans le jihadisme devait être créé dans "chaque région" française, d’ici à la fin 2017.

Par ailleurs, des initiatives locales et régionales ont déjà été lancées. En avril 2014, le centre de prévention, de déradicalisation et de suivi individuel (CDPSI), piloté par l'anthropologue Dounia Bouzar et financé par les deniers publics, a été lancé à l'initiative du ministère de l'Intérieur. La mission, dont les résultats ont été largement contestés, a depuis été abandonnée.

Mais parallèlement, des cellules visant à prévenir les cas de radicalisation et accompagner les familles ont été mises en place dans les préfectures. Des structures associatives, comme le Capri (Centre d’action et de prévention contre la radicalisation des individus) à Bordeaux, existent également.

N. Sarkozy: "Mettre l’ensemble des personnes fichées S sous surveillance, expulser en urgence toutes celles qui sont étrangères et mettre celles qui présentent des risques de radicalisation sous bracelet électronique, les assigner à résidence ou les placer dans des centres de rétention"

Mettre toutes les fiches S sous filature est une autre des obsessions de la droite… mais au vu de leur nombre, c'est infaisable. En novembre dernier, Manuel Valls parlait de 20 000 personnes fichées S, dont 10 500 pour "leur appartenance ou leur lien avec la mouvance islamique". Toutes ne font pas l’objet d’un suivi personnalisé (filatures, écoutes…), notamment en raison d’un manque de moyens techniques et humains.

Même si plus de 13 000 fonctionnaires et contractuels sont affectés à des tâches de renseignement et de lutte antiterroriste en France et que 1 400 doivent être embauchées d’ici à 2017 à la DGSI, aux Renseignements territoriaux et à la Préfecture de police de Paris, il est actuellement impossible de mettre un policier spécialisé 24h/24 et 7j/7 derrière chaque personne fichée. Par ailleurs, toutes ne sont pas des terroristes en puissance : peut être fichée une personne qui fréquente une mosquée réputée salafiste, un individu signalé par les services de renseignement étrangers, une personne ayant voyagé dans un pays en guerre ou la famille, même lointaine, d’un terroriste. Enfin, certains passent à l'acte sans être passé pas la case "S": le tueur de Nice n'était pas fiché

Quant à mettre un bracelet électronique, assigner à résidence ou même placer en centre de rétention "ceux qui présentent un risque de radicalisation", il faut rappeler que dans un état de droit, une fiche S est un "élément de surveillance", qui peut permettre de constituer le début d’un dossier judicaire mais ne suffit pas à justifier l’interpellation, et encore moins l’incarcération d’un suspect.

N. Sarkozy : "Que les préfets soient autorisés à fermer immédiatement tout lieu de culte ayant rapport de près ou de loin avec les salafistes et à expulser tout imam qui y prêcherait"

L’état d’urgence – dont la prolongation doit être votée le 19 juillet à l’Assemblée – autorise déjà les préfets à ordonner "la fermeture provisoire de salles de spectacle, de débits de boissons et de lieux de réunions de toute nature, ainsi qu’interdire des réunions et des manifestations sur la voie publique". Trois mosquées ont été ainsi fermées en décembre 2015.

Quant à l’expulsion des imams, cela suppose qu’ils soient expulsables, donc pas Français. Quarante imams étrangers ont déjà été renvoyés depuis 2012, avait déclaré Bernard Cazeneuve en novembre 2015. En cas "de menace grave pour l'ordre public", il s'agit d'une décision préfectorale. En cas de "nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique" (terrorisme), la décision peut être prise directement par le ministre de l'Intérieur.

N. Sarkozy : "Que tous les détenus condamnés pour terrorisme islamique soient mis à l’isolement"

Le regroupement des prisonniers islamistes dans des unités dédiées (UD) est déjà expérimenté depuis 18 mois dans quatre prisons françaises et le dispositif n’a pas fait ses preuves : il a été jugé "insatisfaisant" par la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan. Dans un rapport publié le 7 juin, elle dénonce une organisation "disparate" et balbutiante, des mesures mises en place "dans l'urgence" et des réponses "insatisfaisantes" face à "un phénomène sans précédent". Dans ses conclusions, la contrôleure ne jugeait "pas réaliste [...] l'extension de ce modèle expérimental" dans le contexte "d'une surpopulation carcérale structurelle".