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Elle attendait ça depuis 1958 : l'équipe de France de football a battu l'Allemagne lors d'une compétition internationale. Et file en finale de l'Euro. Récit d'une victoire tricolore dans un bar franco-allemand survolté de Paris.

Ca y est, l’arbitre siffle le dernier coup de sifflet. "On est en finale ! On est en finale !" Les supporters français exultent. Voilà un refrain qu’ils n’avaient pas entonné depuis longtemps. Les Bleus se sont imposés, jeudi 7 juillet, contre la Mannschaft en demi-finale de l’Euro-2016. La joie est d’autant plus immense que la France n’avait pas battu l’Allemagne en compétition internationale depuis 1958. On en oublierait presque le traumatisme de 1982 (Battiston, Schumacher, tout ça… Ne revenons pas là-dessus).

Dans les rues de Paris (et de toutes les villes de France), les klaxons prennent le pouvoir. Les drapeaux tricolores aussi. Les bars débordent de clients bleu-blanc-rouge qui ne veulent plus rentrer se coucher. Au Kiez, dans le 18e arrondissement, l’ambiance est survoltée. Une particularité cependant : maillots bleus et maillots blancs festoient ensemble. Friedemann et Stephan, tous deux étudiants à Paris, viennent d’assister à la défaite de leur équipe mais trinquent volontiers avec les vainqueurs. "On se fait charrier gentiment, s’amuse Friedemann. C’est bon enfant, il n’y a pas d’hostilité exagérée. C’est l’amitié franco-allemande qui prime." Stephan ose même : "Je suis content pour les Français. Moi, je suis d’abord européen."

Friedmann et Stephan, bons perdants : "L'Allemagne n'était pas assez dans le match" #FRAALL #LivefromKiez pic.twitter.com/aSMJnfq9Lj

— Guillaume Guguen (@gu__gu) 7 juillet 2016

Le Kiez est un "biergarten" (littéralement, "un jardin de bières", ça fait rêver) tenu par Niklas, un Allemand, et Maxime, un Français. On y sert des bretzels, des currywurst et des verres de bière démesurément grands. Comme à Berlin, Hambourg, Stuttgart, Munich, etc. L’endroit est connu comme l’un des points de rendez-vous parisien des expatriés allemands. Depuis le début de l’Euro, chaque match de la Mannschaft attire des centaines de personnes. Avant la rencontre contre la France, les patrons attendaient quelque 300 personnes. Dans le bar, le jardin, sur la terrasse mais aussi le trottoir d’en face.

"On a des voisins qui ne sont pas contents mais la police ne nous a jamais rien dit. C’est l’Euro quand même !", lance Niklas. Les riverains sont de toute façon habitués. En 2014 déjà, alors que le bar venait d’ouvrir, la finale de la Coupe du monde 2014 avait viré à la fête de quartier. "C’était exceptionnel", se rappelle le taulier allemand. Et comment ça s’est fini ? "Je ne m’en rappelle plus." On imagine que la gueule de bois fut, elle aussi, exceptionnelle.

Des Allemands pour la France et des Français pour l’Allemagne

Mais revenons à notre France-Allemagne. Et à la manière dont il a été vécu par le public du Kiez. Il est 19 heures, les premiers clients arrivent avec drapeaux, maillots, lunettes et perruques. À 20 heures, le bar se transforme en une espèce de fan zone  sauvage débordant sur la rue. Il y a là des supporters des deux équipes. Des Allemands pour l’Allemagne, des Français pour la France (jusqu’ici tout va bien). Mais aussi des Allemands pour la France (un peu) et des Français pour l’Allemagne (beaucoup), "voire l’Italie" (ça se complique).

Nicolas, originaire de Strasbourg, supporte l'Allemagne "depuis 1990 et le pénalty de Brehme" #FRAALL #LiveFromKiez pic.twitter.com/oPcrz3OLHw

— Guillaume Guguen (@gu__gu) 7 juillet 2016

Nicolas, originaire de Strasbourg, supporte la Mannschaft depuis qu’il est "gamin" et qu’il l’a vue remporter le Mondial-1990 à la dernière minute face à l’Argentine de Maradona. À cette époque, il faut dire, les Bleus ne se qualifiaient même pas pour les Coupes du monde. Géraldine, elle, soutient la sélection germanique depuis qu’elle s’est mariée à un Allemand. "Je suis une traître à la patrie, rigole-t-elle. Enfin, c’est ce que dit ma famille."

Une fois, le match commencé, les choses s’organisent d’elles-mêmes. À l’intérieur du bar : le gros du contingent allemand. À l’extérieur : le gros du contingent français. Mais la frontière est poreuse. Au fil de la rencontre, on se mélange. On passe d’un camp à l’autre sans histoires. Sur les écrans de télévision, la moindre avancée d’une équipe vers le camp adverse suscite un sursaut d’excitation. Au Kiez, tout le monde est gagnant. L’avantage, c’est qu’on a l’impression qu’il se passe un truc de fou toutes les 30 secondes sur le terrain. L’inconvénient, c’est qu’on ne sait plus qui suivre. "Attendez, Pogba, il joue pour qui déjà ?"

Avec son pénalty, Antoine Griezmann clarifie les choses. 1-0 pour la France. Dans le camp français, on chante "La Marseillaise". Supporter de la Mannschaft, Marti ne perd pas espoir : "L’Allemagne est plus confiante. On va égaliser et aller jusqu’aux tirs au but." Marcel, lui, va encore plus loin : "J’ai conçu un algorithme qui me permet de connaître les scores de l’Allemagne à l’avance. Depuis le début de l’Euro, j’ai eu tout bon. Et là, je sais qu’on va gagner 2-1." OK.

Et revoilà "La Marseillaise"

En deuxième période, les Bleus se font plus pressants. Au Kiez, les supporters allemands se réveillent et scandent le nom de Manuel Neuer. Quand on commence à chanter les louanges de son gardien, c’est qu’on attend plus grand-chose de son attaque. Plutôt bon signe pour les Français. D’autant que le sus-nommé Neuer voit filer un ballon de Griezmann entre ses jambes. 2-0 pour la France. Et revoilà "La Marseillaise".

Et c'est la fin ! #FRAALL #LiveFromKiez https://t.co/vOeqpVlgCr

— Guillaume Guguen (@gu__gu) 7 juillet 2016

Les minutes s’égrènent. Les Tricolores filent vers la victoire. Entre le camp allemand qui se remotive et les Français qui fanfaronnent, on ne distingue plus qu’un créole franco-allemand : "Allons Deutschland de la patrie, et eins, zwei, drei en finale !" Au coup de sifflet libérateur, le chant redevient français. "On est en finale ! On est en finale !" On l'aura donc compris la France est en finale. Contre le Portugal de Ronaldo. Friedemann et Stephan ne savent pas encore où ils regarderont le match. "Chez des copains, peut-être." Dimanche, le Kiez ne connaîtra certainement pas la même affluence. Ce sont les voisins qui vont êtres contents.

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