Elie Wiesel, rescapé de la Shoah, humaniste, prix Nobel de la paix, infatigable avocat des droits de l'Homme, est décédé samedi, à l'âge de 87 ans. Le monde pleure la disparition de ce "mémorial vivant".
Il n'est jamais vraiment revenu des camps de la mort. Comme tant de rescapés, Elie Wiesel avait laissé une partie de son âme à Auschwitz et Buchenwald, il y avait laissé toute sa famille aussi, ses parents et sa sœur. Lui qui ne s'est jamais pardonné de ne pas avoir tenu la main de son père agonisant s’est éteint samedi 2 juillet, à Manhattan. Elie Wiesel avait 87 ans.
Après avoir échappé à l’enfer concentrationnaire, Elie Wiesel, s’était donné une seule mission, qu’il s’appliqua à honorer toute sa vie : ne jamais oublier les morts. Au fil des années, cette lutte contre l’oubli était devenue une obsession, un sacerdoce. "L’oubli signifierait danger et insulte. Oublier les morts serait les tuer une deuxième fois", disait-il. "L’oubli, c’est une maladie collective". Son engagement est entier : "Nous devons toujours prendre parti. La neutralité aide l'oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté", déclare-t-il en 1986 lors de son discours de réception du prix Nobel de la paix 1986.
Le manuscrit de "La Nuit" a été rejeté par de nombreuses maisons d'éditions en 1958
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"Jamais, je n’oublierai…. "
Né le 30 septembre 1928 à Sighet, en Roumanie (alors Transylvanie), dans une famille pauvre, Elie Wiesel était âgé de 15 ans lorsqu'il a été déporté à Auschwitz-Birkenau où sa mère et sa plus jeune sœur sont assassinées. Son père meurt sous ses yeux à Buchenwald où ils ont été transférés, abattu à coups de gourdins par un SS. Dans son premier livre "La Nuit", publié en 1958 et préfacé par François Mauriac, Elie Wiesel revient sur cet épisode, l'un des plus accablants de sa vie. "[Mon père voulait] m’avoir auprès de lui au moment de l’agonie, lorsque l’âme allait s’arracher à son corps meurtri - mais je ne l’ai pas exaucé. J’avais peur. Peur des coups", écrit-il. "J’ai laissé mon vieux père seul agoniser [...] Jamais je ne me le pardonnerai".
Le roman, refusé par quasiment toutes les maisons d'éditions avant d'être enfin accepté aux Éditions de Minuit, marque les esprits par la violence des souvenirs évoqués. "Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n'oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi. Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre".
Sur le plateau d'Apostrophes Elie Wiesel est venu parler de son livre "Le cinquième fils"
À sa sortie du camp, en 1945, orphelin et apatride, il est recueilli en France par l'OSE (Œuvre juive de secours aux enfants) et y vit jusqu'à l'âge de 28 ans, en 1956. Il apprend à aimer le pays. "Le français est une langue cartésienne. Or, ce que j'ai vécu dans mon enfance, mon adolescence, toutes mes aventures intérieures, c'était le contraire : je baignais dans le mysticisme. S'il y a une langue qui rejette le mysticisme, c'est le français", disait-il.
Après des études de philosophie à la Sorbonne, il devient journaliste et écrivain. "J'aurais aimé être chef d'orchestre, mais mon histoire ne se racontait pas en musique, mais avec des mots", dit-il en 2006 sur le plateau de Thierry Ardisson. Dans les années 1960, il obtient la nationalité américaine et partage alors sa vie entre la France, les États-Unis et Israël. En 1986, il reçoit le prix Nobel de la paix. Le comité salue en lui "l'un des plus importants leaders et guides spirituels à l'époque où la violence, la répression et le racisme continuent à dominer le monde".
Infatigable avocat des droits de l’Homme
Redoutant la puissance néfaste de certains symboles, il s'est rendu jusqu'à la Maison Blanche en 1985 pour dissuader – en vain – le président Ronald Reagan de déposer une couronne de fleurs dans un cimetière allemand où se trouvent les sépultures de plusieurs SS célèbres. Les combats qu'il a menés via sa Fondation pour l'humanité étaient aussi souvent liées à l’actualité. Lors du conflit au Darfour et de la meurtrière famine qui y sévit (1990-1992), cet infatigable avocat des droits de l'Homme se dresse et interpelle inlassablement le monde politique. "Pendant que nous discutons ici, les gens meurent dans la honte et l'indignation", s'insurge-t-il sur le plateau de Thierry Ardisson. Plus généralement, il a épousé toutes les causes dont le vecteur premier était les enfants.
"Pendant que nous discutons ici, les gens meurent dans la honte et l'humiliation"
Elie Wiesel, était l’auteur de plusieurs dizaines de livres écrits en français. Les thèmes sont souvent les mêmes : la Shoah, la mémoire, la mort. Il a écrit aussi une quarantaine de livres en anglais, hébreu et yiddish, des fictions, des œuvres de théâtre et des essais. "Le Mendiant de Jérusalem" est inspiré de la guerre des Six jours. "Le testament d'un poète juif assassiné" (1980), son livre le plus connu, "Le cinquième fils" (1983) et "Signes d'exode" (1985) questionnent le silence de Dieu. "Le temps des déracinés" (2003), "Un désir fou de danser" (2006) ou "Otage" (2010) comptent également parmi ses succès.
Depuis l'annonce de son décès, samedi 2 juillet, le monde lui rend hommage. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a salué un "rayon de lumière". "Nous avons perdu un grand humaniste et un inlassable défenseur de la paix", a ajouté François Hollande. "Nous avons perdu une conscience du monde", a déclaré Barack Obama avant d'évoquer le "mémorial vivant" qu’il représentait. Des qualificatifs qui n’ont rien d’hyperboliques.