Film de la compétition parmi les plus attendus, "Personal Shopper" d'Olivier Assayas a essuyé les premiers sifflets du Festival de Cannes. Rien, pourtant, dans cette intrigante histoire de fantômes ne mérite de se faire conspuer.
Nous voilà au mitan du Festival de Cannes. L’occasion de dresser un bilan de mi-parcours auprès des bookmakers. Quel film a, pour l’heure, le plus de chances de remporter la Palme d’or ? Comme le rapporte The Hollywood Reporter, c’est la comédie "Toni Erdmann" de Maren Ade, avec une cote à 9 contre 4, qui fait figure de favori sur le site de paris paddypower.com. Juste devant "Moi, Daniel Blake" de Ken Loach.
Une réalisatrice allemande dont c’est la première participation en compétition qui grille la politesse au doyen des "habitués", c’est un sacré symbole. Cela montre en tous cas que les "abonnés" de la compétition cannoise peinent à susciter l’unanimité et que les festivaliers ne rechignent pas à découvrir de nouveaux noms. Pour la majorité des films en lice, les avis sont donc partagés : "Ma Loute" de Bruno Dumont a ses défenseurs et ses détracteurs. Tout comme "Mademoiselle" de Park Chan-wook, "American Honey" d’Andrea Arnold et même - c’est un scandale - "Loving" de Jeff Nichols, dont nous avons déjà dit tout le bien qu’on en pensait.
Film d'épouvante ? Fausse piste
Mais, jusque-là, nous n’avions toujours pas eu le droit aux huées. On retiendra donc que les premiers sifflets du 69e Festival de Cannes ont été attribués au Français Olivier Assayas et son "Personal Shopper". Totalement injustifié. On se demande bien en effet ce qui, dans le film, mérite de se faire conspuer. L’histoire de fantôme ? Le suspense tenant au bout d’un texto ? L’omniprésence de Kristen Stewart à l’écran ? Benjamin Biolay qui interprète Victor Hugo (nous n’inventons rien) ?
À entendre les quelques ricanements forcés pendant la projection presse, on imagine que les mauvais esprits n’ont que très peu goûté les esprits, justement. Tout le contraire de Maureen, l’héroïne de "Personal Shopper" (Kristen Stewart), qui, elle, les cherche, les esprits. Celui de Lewis, tout particulièrement, son frère jumeau mort d’une malformation cardiaque quelque trois mois plus tôt. En clair, les fantômes ne lui font pas peur. Quoique.
Le début du film démarre tambour battant dans le genre "esprit, es-tu là ?". Pour une raison qu’on ignore alors, Maureen se retrouve à passer la nuit dans une grande maison de campagne. Elle est seule, il n’y a pas d’électricité, le vent souffle sur les volets, des portes claquent, des lumières suspectes vont et viennent dans l’obscurité… Ça y est, se dit-on, Assayas fait dans le film d’épouvante, et il le fait bien. Fausse piste.
Maureen retourne à sa vie parisienne. La jeune exilée américaine travaille comme assistante personnelle d’une célébrité appelée Kyra. Kyra, on en entend beaucoup parler mais on la voit peu (un peu comme un fantôme). On sait d’elle qu’elle est tyrannique et qu’elle déteste que Maureen essaie ses habits. Car Maureen est sa "personal shopper", c’est-à-dire qu’elle la paie pour acheter ses robes, ses chaussures et ses bijoux dans les boutiques de luxe de la capitale.
Maureen déteste son job mais c’est grâce à lui qu’elle peut rester à Paris. Et c’est ici, pense-t-elle, qu’elle pourra entrer en contact avec son défunt frère. Maureen se dit médium et sait que l’esprit de Lewis se manifestera un moment ou l’autre. "Je te connais", reçoit-elle un jour sur son portable. Numéro inconnu. Est-ce un plaisantin, un dangereux satyre ? Ou bien Lewis ? C’est plus fort qu’elle, Maureen répond. Commence alors un palpitant et malsain échange de textos (à ce propos, Kristen Stewart écrit ses SMS à une vitesse record).
L'iPhone de l'angoisse
Nous voici dans le cœur du film. Ça y est, se dit-on, Assayas fait dans le thriller et il le fait bien. Notamment parce que le suspense repose sur une chose aussi simple et triviale qu’un téléphone portable, inoffensif appareil de notre quotidien qui devient alors source d’angoisses (ah, ces trois petits points qui annoncent une réponse imminente). Seulement voilà, le soufflé retombe aussi sec. Le mystère du correspondant anonyme qui nous tenait en haleine s’étant brusquement dissipé, c’est en traînant des pieds qu’on repart à la recherche des fantômes. Quelque chose s’est brisé, on n'y croit plus. Mais les esprits reviennent quand même… Ça y est, se dit-on, Assayas fait dans la quatrième dimension mais, trop tard, il nous a perdus en chemin.
On sort du film d’Assayas avec cette désagréable impression d’être passé à côté de quelque chose. D’un sens caché. D’une allégorie quelconque. D’une émotion finale. "Personal Shopper" mériterait d'être vu une seconde fois. Ne serait-ce que pour Kristen Stewart qui porte le film à elle seule (pas une scène ne se déroule sans elle). Décidément, après Shia LaBeouf dans "American Honey", Adam Driver dans "Paterson" et le couple Joel Edgerton-Ruth Negga dans "Loving", les stars américaines brillent sur la Croisette.