Après la révélation d'avoirs cachés au Panama par des centaines de personnalités, l'ONG Transparency International salue un grand jour dans la lutte contre l'évasion fiscale. Son président nous explique les dessous de ces révélations.
Une enquête réalisée par plus de 100 journaux a révélé des avoirs dans les paradis fiscaux de 140 responsables politiques ou personnalités de premier plan. Ces informations, regroupées sous l'appellation "Panama papers", sont le fruit d’une analyse menée sur 11,5 millions de documents, provenant du cabinet juridique Mossack Fonseca.
Daniel Lebègue, président de l'ONG Transparency International France, explique à France 24 les rouages de cette évasion fiscale à grande échelle. Il estime que les premiers concernés par ce scandale sont les citoyens, qui perdent ainsi des ressources conséquentes.
France 24 : En quoi ce scandale concerne-t-il l'ensemble des citoyens ?
Daniel Lebègue : Quand des personnes ou des sociétés ouvrent des comptes et bénéficient du secret bancaire, elles s’exonèrent du paiement de l’impôt sur les revenus ou sur le patrimoine. Ce sont tout simplement les honnêtes contribuables qui en supportent les conséquences. Ce sont eux qui doivent financer les dépenses publiques, les services publics parce que d’autres refusent de faire leur devoir citoyen.
Cela représente un enjeu énorme. Selon un rapport d’enquête du Sénat d'Alain Bocquet et de Nicolas Dupont-Aignan, le chiffrage que l’on peut faire de la perte de recette pour le budget de l’État français, résultant de la fraude et de l’évasion fiscale, est estimé entre 60 et 80 milliards d’euros. Cela représente davantage que le produit de l’impôt sur les sociétés.
Hormis l'évasion fiscale, pourquoi certaines personnes ont-elles recours au placement offshore ?
Il y a aussi la dissimulation de ce qu’on appelle l’argent mal acquis : le trafic de drogue, le crime organisé, le terrorisme ou la traite d’êtres humains. Il y a également la corruption, c’est-à-dire l’argent de dirigeants politiques ou de responsables d’entreprises qu’ils touchent de manière illégale à l’occasion de marchés publiques. C’est tout cela qui est accueilli et recyclé dans l’énorme boîte noire existante au Panama. Quant à certains chefs d’État, ils peuvent aussi utiliser ces comptes offshores par précaution comme Ben Ali ou Moubarak à leur époque. Si un jour ils sont renversés, ils auront mis de l’argent à l’étranger pour leurs proches ou leur famille. On n’a d’ailleurs toujours pas récupéré une partie de l’argent des Ben Ali qui est planqué à Dubaï.
Pourquoi le Panama se retrouve-t-il aujourd’hui dans le viseur de cette enquête ?
Il n’y a pas que le Panama, mais c’est un cas emblématique. Pratiquement tous les États du monde ont accepté les nouvelles règles instituées par l’OCDE en 2014/2015, c'est-à-dire l’échange automatique d’information entre administrations fiscales pour lutter contre l’évasion. Il y a 150 États qui les ont acceptées dans le monde, y compris la Suisse, le Luxembourg, même si cela n’a pas été sans mal.
Mais en première ligne, le Panama a dit : ‘Non, je ne joue pas le jeu de la transparence et de la coopération parce j’attache beaucoup d’importance à mon industrie offshore et au secret bancaire. Je veux les garder’. L’OCDE a ainsi déclaré que de tous les États du monde, le moins coopératif, était le Panama. Ce pays a aujourd’hui été rattrapé grâce à un lanceur d’alerte et un travail formidable des journalistes d’investigation. C’est un signal considérable adressé à toutes les personnes et toutes les sociétés qui veulent mettre à l’abri des avoirs illicites ou échapper à l’impôt. Ils ne sont plus à l’abri nulle part, ils seront rattrapés par l’action conjuguée des magistrats, des ONG, des lanceurs d’alerte. C’est vraiment un grand jour dans la lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux.