Les Parisiens sont sous le choc au lendemain de la série d’attaques terroristes qui a fait au moins 129 morts et 200 blessés graves dans la capitale française. Récit d’un parcours macabre dans les rues de la ville endeuillée.
Samedi matin, Paris se réveille dans la brume. Ses habitants émergent au compte-gouttes, glacés. C’est moins l’automne qui s’est abattu d’un coup après l’été indien qui les tétanise que le choc des nouvelles attaques qui ont frappé la capitale française en son cœur, moins d’un an après les attentats de "Charlie Hebdo". Dans la soirée du vendredi 13 novembre, six attaques simultanées ont fait au moins 129 morts et plus de 300 blessés, dont 80 sont toujours dans un état d’urgence absolu.
Samedi matin, le 11e arrondissement porte encore les stigmates des attaques sanglantes. La police, sur les nerfs, barricade le quartier. "On ne s’arrête pas, on circule !", hurle un CRS, sifflant les habitants du quartier qui ralentissent le pas pour jeter un coup d’œil effaré en direction de la salle de concert. Les blessés ont été évacués dans la nuit, mais, en cette heure matinale, les secours évacuent encore les corps. Régulièrement, les journalistes massés aux abords du boulevard Richard Lenoir doivent s’écarter pour laisser passer les camions de pompier transportant les victimes de la tuerie.
"Au début, je pensais à une mauvaise blague"
Denis était dans la salle de concert. Rencontré samedi matin à proximité du Bataclan, il a les yeux rouges de ces nuits sans sommeil et l’air hagard. "Il me faudra plusieurs jours pour réaliser ce qui est arrivé", confie-t-il à la presse. Ce trentenaire était juste allé écouter "l’un de ses groupes préférés" et il n’était pas le seul à se réjouir du concert des Eagles of Death Metal qui jouaient à guichet fermé devant près de 1 500 personnes. "La salle était pleine à craquer", confirme Denis.
Ce dernier dansait quand il a entendu une première salve de tirs. "Au début, j’ai cru à une mauvaise blague, je pensais que c’était des pétards jeté par des mecs qui voulaient gâcher le concert. Mais ça durait un peu trop longtemps et j’ai compris que c’était grave". Le jeune homme gravit alors un escalier pour se réfugier dans une petite salle de l’étage, un réflexe qui lui a sûrement sauvé la vie. "La plupart des gens qui ont été tués se trouvaient dans la fosse", témoigne-t-il.
Depuis sa cachette où sont réfugiées des dizaines de personnes, il entend les rafales de tirs qui retentissent si fort "qu’ils font trembler les murs". "Des femmes étaient paniquées, on essayait de les calmer, de rester le plus silencieux possible. Il y avait de la solidarité entre nous", se souvient-il. Parmi eux, des blessés qu’il faut soigner avec les moyens du bord, des serviettes et vêtements comme garrots de fortune "C’était sombre, on ne voyait pas grand chose mais on sentait l’humidité du sang", poursuit Denis.
Après trois heures d’attente angoissée, la police arrive enfin pour libérer les rescapés, leur conseillant de ne pas regarder autour d’eux, une injonction difficile à tenir en de telles circonstances. Denis a les images de l’horreur gravées en fond de rétine : "Il y avait des corps ensanglantés partout. Des gens ont survécu en se faisant passer pour mort. Ils ont passé plus de trois heures au milieu des cadavres… Une femme est sortie avec des morceaux de chair dans les cheveux…", la voix de Denis se brise. Les images sont trop dures, les mots pas assez forts. Transi de froid, hanté par ce qu’il ne voudrait être qu’un cauchemar, il se soustrait aux questions des journalistes pour disparaître dans ce matin glaçant.
"J’ai vu un homme tirer sur le trottoir"
Plus loin sur le trottoir, Isabelle revit elle aussi sa nuit. Elle n’était pas dans le Bataclan, mais dans son appartement, juste au-dessus. Vendredi soir, ses enfants étaient de sortie et elle en profitait pour organiser un diner entre amis. Elle était à sa fenêtre en train de fumer quand elle a vu un homme tirer sur le trottoir avec ce qui lui semble être une kalachnikov.
"Par réflexe, on a éteint les lumières et on s’est tous baissés", raconte la quarantenaire. En jetant un coup d’œil à la fenêtre, elle aperçoit un homme touché par balle. "Il était encore debout, il titubait. Alors on s’est précipité en bas pour le faire rentrer dans l’immeuble". La victime, d’une trentaine d’année, était venue de Lille pour assister au concert où il a été blessé à l’abdomen.
"Les secours étaient d’abord injoignables puis ils n’arrivaient pas", raconte-t-elle, tirant avec nervosité sur sa cigarette, "alors les pompiers nous ont dit de faire des points de compression. On essayait de le maintenir éveillé, de limiter l’hémorragie mais il n’arrêtait pas de saigner", poursuit-elle. Isabelle se décide à sortir de l’immeuble pour réclamer, en hurlant, de l’aide à la police qui barricade sa rue. Le jeune homme est évacué plusieurs minutes plus tard. "Ça m’a paru une éternité", se souvient-elle en caressant la tête de son fils de 15 ans qui, de son côté, a trouvé refuge chez un ami pour la nuit. Aux dernières nouvelles, le jeune homme qu’elle a secouru a survécu.
Solidarité à Paris
Au milieu de ces atrocités, la solidarité a prévalu à Paris. Isabelle, comme des milliers d’autres Parisiens, a ouvert sa porte aux blessés ou à ceux qui ne pouvaient pas rentrer chez eux. Comme Pierre, médecin d’une trentaine d’années, qui a accueilli les fugitifs de la tuerie qui avait lieu au même moment, rue de la Fontaine-au-Roi. Dans cette rue située à quelques centaines de mètres du Bataclan, les assaillants ont tiré sur la terrasse d’un traiteur italien, "Casa Nostra", où cinq personnes au moins ont été tuées et une vingtaine blessées.
Son gérant, Dimitri Mohammedi, 43 ans, était sorti boire un verre quand les hommes ont ouvert le feu sur son restaurant. Prévenu par un appel, il est arrivé sur la scène du crime peu après les secours et son récit est tout aussi apocalyptique que les précédents. Il trouve sa devanture criblée de balles, "juste à hauteur de tête". "Il y avait un corps par terre, et une femme qui s’était fait tirée dans le bras qui pleurait par terre", raconte-t-il. "Au début, je pensais que c’était un règlement de compte, difficile d’imaginer que des terroristes vont faire un attentat chez vous…", souffle l’homme qui reste sans voix. Comme tous ceux qui ont vécu de près ou de loin cette nuit d’horreur.
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Annick laisse les larmes couler sur ses joues ridées. Rencontrée au croisement de la rue Oberkampf et du boulevard Richard Lenoir, la Parisienne de 63 ans est tétanisée. Cette retraitée vit dans le quartier depuis 35 ans, dans un appartement attenant au Bataclan. Barricadée chez elle dans la soirée, elle a passé la nuit à écouter avec anxiété les sirènes lancinantes des secours et de la police. "Je tenais à être là ce matin, dans la rue, pour être en pensée avec toutes les victimes", explique-t-elle. "J’ai vécu les attentats de Saint-Michel (en 1995, ndlr), puis ceux de "Charlie Hebdo", à 200 mètres de chez moi et là, des jeunes qui ne demandaient qu’à vivre ont été tués en bas de la maison", énumère-t-elle. "Je suis là dehors pour montrer que je continuerai ma petite vie. On ne m’empêchera pas de sortir de chez moi, d'aller boire mon thé à Bastille et de faire mon marché dans le quartier. On ne m’empêchera pas de vivre. En tous cas, pas ‘eux’."