Reporters sans frontières a lancé jeudi sa campagne "Collateral Freedom" à l’occasion de la journée contre la cybercensure. L'ONG qui défend la liberté d'expression a "décensuré" neuf sites d’information indépendants bloqués dans 11 pays.
Jusqu’à présent, les internautes russes n’avaient pas accès au site d’information Grani.ru, le pouvoir vietnamien bloquait le blog Dan Lam Bao et Bahrain Mirror était un site non grata au Bahreïn et en Arabie saoudite.
Mais dans le cadre de son opération "Collateral Freedom" lancée jeudi 12 mars à l’occasion de sa Journée mondiale contre la cybercensure, Reporters sans frontières (RSF) a réussi à "décensurer" ceux-ci.
En tout, ce sont neuf sites indépendants d’information dont l’ONG française de défense de la liberté d’expression a rendu le blocage inutile pour les internautes de 11 pays différents*.
Le choix n’a pas été simple. "Il y avait beaucoup plus de candidats possibles", explique à France 24 Grégoire Pouget, responsable du bureau Nouveaux médias chez RSF. Mais pour des raisons techniques (bande passante, temps, coût), il a fallu limiter le nombre d’heureux élus. "On a retenu plusieurs critères : les sites devaient publier des informations indépendantes, être censurés dans des pays ennemis de l’Internet et être des médias qu’on connaissait déjà et avec lesquels on avait travaillé."
Miroir, mon beau miroir
Les responsables des sites en question devaient aussi être d’accord. En effet, dès l’instant où les contenus censurés redeviennent visibles pour tous, le risque que les autorités s’en prennent physiquement (arrestations, intimidations) aux équipes pour les museler devient plus grand. "Nous leur avons bien expliqué les conséquences et c’était à eux de trancher entre les avantages d’une plus grande exposition et la sécurité des équipes. Certains ont en effet refusé", reconnaît le spécialiste des nouveaux médias pour RSF.
Techniquement, l’ONG française a créé des versions miroirs des sites retenus. C’est-à-dire que les équipes de RSF en ont fait des copies - le plus souvent dynamiques (qui se mettent à jour automatiquement dès qu’un contenu est publié sur le site censuré original) - hébergées sur des serveurs à l’abri du doigt vengeur des régimes visés. "Nos miroirs sont hébergés sur des plates-formes dont les services sont massivement utilisés par les entreprises de ces pays, comme Amazon, Google ou Microsoft. Si les autorités veulent bloquer un de nos sites hébergés par Amazon par exemple, ils devront bloquer tous les sites d'Amazon, ce qui aurait un coût économique trop important", a détaillé Grégoire Pouget à plusieurs médias.
Le faire savoir aux internautes concernés
La campagne de RSF vise à démontrer qu’aujourd’hui, l’internaute n’est plus obligé de télécharger des logiciels particuliers pour contourner la censure. Grégoire Pouget reconnaît cependant qu’aucun système n’est parfait. Ainsi, le site miroir de grani.ru a été temporairement indisponible, jeudi, après un pic de trafic qui pourrait être dû à une attaque informatique. RSF travaille d’ailleurs à la création de plusieurs miroirs pour chaque site afin de pouvoir dégainer des solutions de secours si les maîtres censeurs chinois, iraniens ou autres trouvaient des failles dans ce dispositif.
Mais "décensurer" ces sources d’information est une chose, le faire savoir aux personnes qui résident dans les pays concernés en est une autre. C’est pourquoi RSF compte sur les internautes du monde entier pour faire circuler les adresses des sites miroirs. Au lendemain du début de cette opération, il est encore difficile de savoir si ce but est atteint : "Pour l’instant, les visiteurs viennent surtout d’Europe, mais il y a aussi des connexions depuis les pays où les sites sont censurés", souligne Grégoire Pouget.
RSF a été contacté par des responsables de sites censurés dans d’autres pays pour profiter de ce nouveau service. Un défi pour l’ONG qui risque de ne pas avoir les ressources humaines et financières suffisantes en cas de succès et de multiplication des demandes en ce sens.
*Liste des sites : Grani.ru en Russie, Fergananews au Kazakhstan, en Ouzbékistan et au Turkménistan, The Tibet Post et Mingjing News en Chine, Dan Lam Bao au Vietnam, Hablemos Press à Cuba, Gooya News en Iran ainsi que le Gulf Center for Human Rights aux Émirats arabes unis et le Bahrain Mirror au Bahreïn et en Arabie saoudite.