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Enfants-soldats : les jeunes yazidis enrôlés de force par l'EI

Dans sa guerre d’expansion en Irak et en Syrie, l’organisation de l’État islamique oblige des adolescents de la minorité yazidie à suivre un entraînement afin d'en faire des enfants-soldats. Témoignage.

Alors que le sort des femmes et des filles yazidies vendues comme esclaves par les jihadistes de l’organisation de l’État islamique (EI) a fait le tour du monde, l’épreuve traversée par plusieurs jeunes garçons de cette minorité religieuse a reçu peu d’attention.

Habib Kalish, 14 ans, est un Yazidi réfugié au Kurdistan irakien. Comme d’autres garçons de sa communauté, il était détenu par des jihadistes de l’EI dans une école de Tal Afar, à 70 km à l’ouest de Mossoul, en Irak. Lorsqu’ils ont été emmenés, effrayés, dans la cour de l’établissement, le jeune garçon a cru que ses pires cauchemars allaient devenir réalité. "Ils nous ont dit : ‘Nous allons vous entraîner pour devenir des combattants comme nous’", se souvient-il. "Quelques instants plus tard, ils nous ont apporté des armes… des kalachnikovs, puis des grenades."

En plus des exercices militaires, les jihadistes de l’EI ont commencé l’endoctrinement d’Habib et d’autres adolescents, leur enseignant leur lecture du Coran et les forçant à faire la prière plusieurs fois par jour. Pratiquant une foi millénaire de Mésopotamie supérieure, les Yazidis sont considérés par l’EI comme un "groupe d’authentiques païens". Plusieurs centaines d’entre eux ont déjà été massacrés.

De l’entraînement à la fuite

Dans l’école de Tal Afar, Faraj Hajim, frêle cousin d’Habib, n’avait pas la carrure d’un jihadiste en devenir. Après quelques jours, le jeune garçon de 12 ans a échoué à répondre aux attentes des jihadistes. Il a alors été renvoyé des entraînements, avant Habib. "Ils nous ont demandé de tirer sur une cible. Ils nous ont dit d’imaginer que c’étaient des combattants Peshmerga (kurdes) et du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan)", explique Habib, dont les lèvres tremblent parfois alors qu’il se souvient des détails. "Mais je n’arrivais pas bien à tenir l’arme ou à toucher les cibles."

Peu de temps après, Habib, sa mère et ses deux sœurs ont été transférés dans un village de la région de Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak, qui était majoritairement yazidie jusqu'à une attaque de l’EI en août 2014. Au cours d’une froide nuit, mi-octobre, avec sa famille, ils ont réussi à fuir, malgré la vigilance des gardes à l’entrée du village. Les Arabes sunnites qu’ils ont rencontrés sur leur route les ont aidés à sortir de la zone contrôlée par l’EI. Faraj et sa mère ont réussi à faire de même, s’échappant d’un autre village à la même époque que la famille d’Habib. Les deux garçons et leurs familles se sont retrouvés dans la province de Dohuk, dans le nord du Kurdistan irakien.

Leurs copains dans une vidéo de propagande de l’EI

Fin février, les garçons ont découvert ce qu'aurait pu être leur sort s’ils avaient continué l’entraînement avec les jihadistes. Une vidéo de propagande de l’EI montrait certains des garçons de l’école où ils ont suivi leur formation. Les quelques dizaines de garçons qui apparaissent dans cette vidéo étaient entraînés à "l’institut Farouq", un autre centre, apparemment basé près de Raqqa, fief de l’EI en Syrie. Pour la plupart jeunes adolescents, les garçons sont habillés des tenues militaires que portent les jihadistes, on leur demande de réciter des versets du Coran et d'expliquer certaines interprétations des croyances que l’organisation jihadiste promeut.

En regardant la vidéo, Habib et Faraj pointent du doigt les jeunes yazidis recrutés de force qu’ils reconnaissent. "Celui-ci, c’est mon ami Jassim. Nous étions du même village", explique Habib. "C’est terrible de les voir ainsi… Nous nous serions tous retrouvés ensemble à l’école si tout cela n’était pas arrivé."

1 500 jeunes garçons entre les mains de l’EI

Jalal Lazgin, chef d’un centre culturel yazidi dans la région de Sharia, province de Dohuk, estime que plus de 1 500 jeunes garçons yazidis "du nourrisson jusqu'à l'âge de 14 ou 15 ans" sont toujours retenus par l’EI.

Les membres de l’organisation terroriste croient qu’en convertissant les Yazidis de force à l'islam et en faisant d’eux des jihadistes, ils leur apportent le salut. Sur Twitter, un militant de l’EI a posté une photo de deux jeunes garçons, dont un probablement âgé d’un an qui porte un pistolet, avec ce commentaire : "Des enfants yazidis. Avec la grâce de Dieu, ils seront parmi les dirigeants de l'État islamique dans la conquête de Rome".

L’offensive de l’EI a changé la communauté yazidie pour toujours. Nombre d'entre eux en sont réduits à une vie de douleur et de misère. Sabah, un Yazidi également réfugié au Kurdistan irakien, affirme que onze membres de sa famille, dont deux de ses fils, sont entre les mains de l’EI. Dans une récente vidéo de propagande, deux de ses cousins apparaissent. "J’ai eu mal au cœur quand je les ai vus. J’ai pleuré", dit Sabah qui, par peur de représailles envers sa famille, préfère ne pas donner son vrai nom. "Ils essayent de transformer ces enfants en terroristes." Ses craintes sont largement partagées au sein de la communauté yazidie. C’est une douleur supplémentaire pour eux. Leur enfants n’ont pas seulement disparus, mais ils pourraient un jour venir pointer leur arme sur des parents et anciens amis.

"Ne combats pas pour eux"

Certains espèrent que leurs garçons ne connaîtront pas la destinée que l’EI semble avoir dessinée pour eux. Samir, qui n’a pas non plus voulu donner sa véritable identité, s’inquiète toujours du sort de son frère, qui apparaît aussi dans la vidéo de l’EI. La dernière fois qu’il lui a parlé, c’était il y a bientôt trois mois, à Tal Afar. "Je lui ai dit : ‘Peu importe ce qu’ils disent ou font, ne combats par pour eux. Ne tue pas d’autres gens pour eux’", raconte Samir. "Il m’a promis qu’il ne le ferait pas."

Gawri Faris a survécu à l’attaque de l’EI début août par pur hasard. Elle assistait aux funérailles de son gendre dans un village voisin quand les jihadistes sont arrivés. Depuis ce jour "sombre", elle n’a pas revu son mari ni ses enfants. Elle est profondément traumatisée à l’idée de savoir ce qui a pu arriver à ses cinq fils et trois filles. Deux de ses fils ont maintenant plus de 10 ans, âge que l’EI juge bon pour débuter son l’enrôlement forcé. Par le passé, le groupe s’est servi de mineurs pour conduire des attentats-suicides et des exécutions, bien qu’il n’y ait pour l’instant aucune preuve qui atteste que des jeunes Yazidis aient mené de telles opérations. "Je peux à peine dormir", dit Gawri. "Parfois, je les vois dans mes rêves, j’essaie de les toucher. Puis je me réveille et ils ne sont pas là."

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