
Le jury présidé par Jane Campion délivre ce soir la Palme d'or du 67e festival de Cannes. L'absence de grand favori laisse entrevoir un grand nombre de possibilités. FRANCE 24 fait le point sur les chances des différents concurrents.
Bien malin celui qui peut dire avec assurance sur quel film se portera le choix du jury présidé par Jane Campion. À quelques heures de l’annonce du palmarès du 67e festival de Cannes, les pronostics et la distribution des Palmes d’or de cœur vont bon train sans que le nom d’un grand favori se dégage. L’an passé, les choses étaient plus simple.
Personne n’osait en effet imaginer que la récompense puisse échapper à "La Vie d’Adèle" d’Abdellatif Kechiche. La surprise fut quand même au rendez-vous puisque Steven Spielberg et ses jurés eurent la délicate idée d’attribuer également une Palme d’or à ses deux actrices, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux.
Que nous réservent les Sages de cette édition 2014 ? Comment vont-ils répartir les différents prix entre les 18 films en compétition ? Pronostics.
S’il voulait frapper un grand coup, le jury attribuerait sa Palme à l’ovni expressionniste de Jean-Luc Godard, ironiquement appelé "Adieu au langage". Ce choix, que d’aucuns considèreraient comme un hommage rendu à l’œuvre du cinéaste suisse âgé de 83 ans, honorerait aussi la capacité du doyen de la compétition à réinventer l’écriture cinématographique, notamment grâce à son utilisation très ingénieuse de la 3D. La Palme à Godard ? Le geste aurait du panache.
Dans le même ordre d’idée, Xavier Dolan ferait un lauréat culotté. A seulement 25 ans, le prodige canadien a bouleversé la Croisette avec "Mommy", mélo familial électrique et effrontée qui pousse assez loin l’audace formelle (ah, ce format carré qui s’élargit par deux fois sur l’écran).
Jane Campion pourrait même carrément faire entrer son jury dans l’histoire du festival en délivrant l’auguste trophée à "Timbuktu". Le Mauritanien Abderrahmane Sissako deviendrait alors le premier cinéaste d'Afrique subsaharienne à décrocher une Palme. Plus qu’un symbole, cette distinction honorerait un magnifique film, une subtile et délicate chronique de la terreur djihadiste au Nord-Mali. Là aussi, cela aurait de la gueule.
La présidente pourrait également faire entrer Jean-Pierre et Luc Dardenne au panthéon cannois. Si leur drame social "Deux jours, une nuit" venait à triompher samedi soir, les deux frères accompliraient l’exploit, encore jamais réalisé, d’inscrire une troisième Palme à leur tableau d’honneur. Las, loin d’être leur meilleur film, le neuvième long-métrage des cinéastes belges n’a pas l’ampleur de "Rosetta" et de "L’Enfant" pour pouvoir prétendre leur succéder.
Le plus sage, et même le plus juste, serait de primer la décapante charge anti-hollywoodienne "Maps to the Stars" de David Cronenberg ou, dans un tout autre registre, l’élégante mise en abyme "Sils Maria" d’Olivier Assayas. Bref, les deux seuls films de cette compétition qui ne montrent aucun signe d’essoufflement.
A défaut de Palme, ces deux derniers pourraient toujours figurer au palmarès par l’entremise du prix d’interprétation féminine. Chez Cronenberg, Julianne Moore livre une exceptionnelle performance en actrice frapadingue courant désespérément après le rôle de sa vie. Réunies par Assayas, Juliette Binoche et Kristen Stewart forment un inattendu et miraculeux duo. On savait la première capable de merveilles (elle est ici formidable en double d’elle-même), on connaissait moins la capacité de la seconde à illuminer l’écran sans ostentation. L’actrice américaine de la saga pour ados "Twilight" est l’une des révélations féminines de ce festival.
Autre duo susceptible de ravir le prix d’interprétation féminine, celui que constituent les Canadiennes Anne Dorval et Suzanne Clément dans "Mommy" éblouit par l’éclatant effet de contraste qu’il produit sur l’écran. L’une est le feu, l’autre la glace. Déjà vue chez Dolan en génitrice honnie par son fils ("J’ai tué ma mère"), la première délivre un festival d’exubérance en veuve adulée par son fils. La seconde est tout aussi remarquable dans son rôle d’épouse modèle à la timidité maladive.
On pourrait également citer Hillary Swank, moins démonstrative mais tout aussi bouleversante dans le western féministe "The Homesman" de Tommy Lee Jones. Ou encore Marion Cotillard, star sans fard pour les Dardenne, qui après déjà deux passages successifs infructueux en compétition ("De rouille et d’os" en 2012, "The Immigrant" en 2013) doit se désespérer d’obtenir une consécration sur la Croisette. Cannes 2014 fut définitivement un festival de femmes.
Chez les messieurs, la compétition est en effet moins disputée. On pense bien évidemment à l’Américain Steve Carell, aussi génial que méconnaissable en inquiétant milliardaire "ornithologue-philatéliste-philanthrope" pour "Foxcatcher". Mais à ses côtés, son compatriote Channing Tatum, âme fragile dans un corps de malabar, n’a pas à rougir de ses états de service.
Parce qu’il grogne, éructe et fait la grimace comme personne, Timothy Spall fait un superbe "Mr. Turner", le lumineux biopic du Britannique Mike Leigh consacré au célèbre peintre anglais du XIXe siècle.
Mais le jury pourrait donner la prime à la jeunesse en récompensant la tornade canadienne Antoine-Olivier Pilon, 16 ans au compteur et auteur d’une impressionnante prestation pour "Mommy" (décidément incontournable) dans lequel il interprète un adolescent atteint de troubles du comportement. Jamais acteur n’a encore été couronné si jeune à Cannes.
Le reste des récompenses relève du même casse-tête pour les jurés. D’aucuns verraient bien le drame lyrique "Still the Water" valoir un prix de la mise en scène à la Japonaise Naomi Kawase. Mais le chic "Saint Laurent" de Bertrand Bonello, âpre portrait du couturier français drapé de magnifiques étoffes visuelles, pourrait tout aussi bien rafler la mise
Pour ses fascinantes scènes de la vie conjugale et son implacable critique du charme discret de la bourgeoisie intellectuelle turque, le très beau et très long métrage "Sommeil d’hiver" de Nuri Bilge Ceylan fait figure de postulant sérieux au prix du scénario. Mais la déjanté et très inégal film à sketchs "Relatos Salvajes" de l’Argentin Damian Szifron pourrait jouer les trouble-fêtes. Les occasions de se dérider n’étant pas légion à Cannes, une récompense attribuée à cette satire produite, entre autres, par Pedro Almodovar, inciterait sûrement les organisateurs à sélectionner davantage de comédies à l’avenir.
Sans véritable chef d’œuvre en compétition, le festival de Cannes 2014 ne délivrera pas la meilleure Palme d’or de ces dernières années, mais au moins entretient-il le suspens jusqu’au bout.