L’armée française s’apprête à intervenir en Centrafrique pour y rétablir l’ordre. Pour Roland Marchal, chercheur au CNRS, il sera difficile de rétablir la sécurité dans le pays sans une ambition politique et un soutien économique.
La France a décidé mardi 26 novembre de porter son contingent à un millier d’hommes en Centrafrique pour y rétablir la sécurité. La décision de Paris, qui doit être approuvée la semaine prochaine par le Conseil de sécurité de l'ONU, a d'ores et déjà ravivé les espoirs à Bangui. Les forces françaises, stationnées à l’aéroport, ont commencé à patrouiller dans les rues de la capitale centrafricaine.
Pays enclavé et majoritairement chrétien de 4 millions et demi d'âmes, la Centrafrique a sombré dans le chaos en mars 2013 lorsque les rebelles musulmans de la Séléka ["l’alliance", en langue sango], dont certains viennent du Tchad et du Soudan, ont déposé le président François Bozizé. Depuis, le conflit a fait 460 000 déplacés, soit un dixième de la population.
Selon Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS, pour que l’intervention militaire soit un succès en Centrafrique, elle doit aller de paire avec un accompagnement politique et économique.
FRANCE 24 : L’ambassadeur de France à l’ONU, Gérard Araud, a déclaré mardi sur FRANCE 24 que l'intervention en Centrafrique "sera beaucoup plus facile qu’au Mali". Qu’en dites-vous ?
Roland Marchal : En Centrafrique, une intervention française et africaine peut éventuellement être combattue. Les mouvements qui composent la Séléka s’appuient sur des régions dont ils sont largement issus. L’accueil peut être relativement hostile s’il n’y a pas de signes politiques forts de la part de la communauté internationale et de la direction du pays.
Une intervention militaire est indispensable, il n’y a pas d’ambiguïté là-dessus. Mais il est inquiétant de voir les Français arriver en se disant que ce sera plus facile qu’au Mali. Certes, sur la dimension militaire c’est beaucoup plus facile, mais d’un point de vue sécuritaire c’est beaucoup plus compliqué.
itLa situation est actuellement très fragile et il y a un potentiel de violence réel. Il y a beaucoup de tensions et d’exaspérations. Des règlements de compte sont possibles, y compris pendant une intervention française et africaine. Les Français voient davantage les dangers militaires mais dans la population, beaucoup de gens veulent prendre leur revanche sur ceux qu’ils appellent "les musulmans". La Séléka a été capable d’arriver jusqu’à Bangui aussi grâce à l’exaspération vis-à-vis du régime précédent. Mais maintenant, certains veulent piller comme la Séléka l'a elle-même fait auparavant. Ce n’est pas aussi simple que les bons contre les méchants.
F24 : On présente la Centrafrique comme une poudrière où l'insécurité est générale. Quels sont les risques d’embrasement régional ?
Sur le court terme, les craintes sont un peu exagérées. Pour l’instant, il ne s’agit pas d’une crise géopolitique majeure mais, si on n'intervient pas, les possibilités de dérapage sont nombreuses.
Le débat s’est porté sur des exactions inscrites dans un contexte d'opposition religieuse entre deux communautés, deux grands monothéismes [un Nord musulman et un Sud chrétien]. Mais ce n’est pas la seule lecture possible. Il ne faut donc pas se contenter de battre militairement la Séléka sans réconcilier le pays avec lui-même, c'est-à-dire le Nord-Est avec le reste du territoire. Si les Français et leurs alliés régionaux, majoritairement chrétiens, chassent le président musulman de la transition, Michel Djotodia, cela peut effectivement avoir quelques échos ailleurs dans la région et entraîner des réactions d’éléments radicaux venus du Tchad voisin, du Soudan et du nord du Cameroun.
F24 : Cette intervention n’intervient-elle pas trop tard ?
La prise de conscience française a été la première au sein de la communauté internationale. On doit rendre hommage aux autorités françaises pour cela. Mais elle a été extrêmement tardive, n'intervenant qu'au retour des vacances, fin août, alors qu'il aurait fallu tirer la sonnette d’alarme dès le mois de juin.
Ensuite, Paris a longtemps soutenu [le précédent président François] Bozizé qui a porté ce pays au bord du gouffre, la Séléka ne donnant que le coup final. Il convient d’éviter les mêmes erreurs mais on ne semble pas réfléchir suffisamment au Quai d’Orsay et au ministère de la Défense. L’Union européenne et les Américains ont également fait de sacrées boulettes. La communauté internationale travaille un peu dans le désordre. On ne parle que de la montée en puissance d’un dispositif militaire. Comment sauver une population si l’on ne met pas l’accent sur la réconciliation nationale et que l’on ne fait pas des gestes vis-à-vis des régions d’origine de la Séléka afin d'éviter une partition du pays ?
Il faut reconstruire un appareil d’État et se poser la question d’aider la population à survivre alors que les salaires des fonctionnaires ne sont pas payés depuis trois mois. L’aide budgétaire internationale est actuellement proscrite et recommencerait au mieux en mars. La population centrafricaine vit dans un stress économique majeur. Il faut pouvoir manger pour écouter des discours sur la réconciliation !
La communauté internationale est prompte à lever des fonds pour une intervention militaire mais il lui faut un peu plus d’imagination politique et économique.