Elle est la grande favorite de l'élection présidentielle au Chili, qui se tient dimanche. Mais pour appliquer ses réformes, visant à réduire les inégalités, Michelle Bachelet aura besoin d'une forte majorité aux législatives.
Pour son dernier meeting de campagne à Santiago jeudi, Michelle Bachelet a dansé la cumbia, le mambo et fredonné les chants historiques de la gauche chilienne. Une ambiance digne d’un soir de victoire… tant l’ancienne présidente [2006 – 2010] paraît assurée d'un retour au palais de La Moneda, à l'issue de l’élection présidentielle, dont le premier tour se tient ce dimanche 17 novembre.
Quatre ans après avoir laissé les rênes du pays au parti de centre-droit Rénovation nationale (RN) de Sebastián Piñera, Michelle Bachelet, 62 ans, bénéficie d'une popularité incontestable, qui dépasse celle de Nueva Mayoria [Nouvelle majorité], la coalition de la gauche dont elle défend les couleurs. Selon l'institut CEP, elle hérite de 47 % des intentions de vote, très loin devant la candidate de la droite Evelyn Matthei, soutenue par Alianza, créditée d'à peine 14 %. Certaines études prédisent même sa victoire dès le premier tour...
"La mère de tous les Chiliens"
Les Chiliens n’ont jamais cessé de plébisciter celle qu'ils ont surnommé la "mère de tous les Chiliens" pour sa spontanéité et son contact naturel. La première femme présidente dans l’histoire du pays a quitté le pouvoir avec une popularité culminant à plus de 80 %, mais n’a pas pu se représenter, en 2010, pour un deuxième mandat consécutif, conformément à la Constitution chilienne. Michelle Bachelet s’est alors envolée vers New York pour prendre la tête de l’ONU Femmes, un organisme qui défend les droits des femmes dans le monde.
Pendant ces trois dernières années, les Chiliens n’ont cessé de guetter son retour, très médiatisé en mars dernier. Renforcée par sa stature internationale, la nouvelle candidate s’est alors dit prête à "assumer le défi "d’un autre mandat, en se donnant comme priorité de "vaincre l'inégalité au Chili".
Ces vingt dernières années, le pays a connu une période de croissance et de prospérité qui, nourrie par l'extraction du cuivre, l'a hissé au rang des pays développés. Mais son ascension s'est accompagnée d'une inégalité dans la répartition des richesses.
Réduire les inégalités
Les manifestations se sont multipliées dans le pays sous le mandat de Piñera pour exiger des changements du modèle économique et politique : des étudiants revendiquant une éducation gratuite, des travailleurs réclamant des réformes au code du travail et de meilleures conditions de salaires. Des fonctionnaires, comme les postiers ou encore les éboueurs, ont même lancé des mouvements de grève pour mettre la pression au gouvernement quelques jours avant le scrutin.
Pour l'heure, seul le programme de Michelle Bachelet semble pouvoir répondre à toutes ces attentes. Sur le plan social, la candidate a promis de réformer l’éducation supérieure, en assurant la gratuité et en mettant fin aux établissements privés, mais aussi d'ouvrir des crèches et des écoles. Pour y parvenir, elle y consacrera chaque année 1,5 à 2 % du PIB.
En terme de santé, la candidate, médecin de formation, prévoit de légaliser l'interruption volontaire de grossesse, en cas de viol ou de risques pour la mère ou l'enfant à naître - une pratique totalement interdite dans plusieurs pays d'Amérique latine. Elle promet aussi quatre milliards de dollars pour la construction de nouveaux hôpitaux, de centres de soins et de recrutement de médecins. Et s'engage en outre à ouvrir un débat national sur le droit au mariage des homosexuels.
Sur le volet fiscal, elle veut porter progressivement la taxe sur les entreprises de 20 à 25 % et en finir avec le Fondo de Utilidades Tributables (FUT), un mécanisme qui permet à certaines sociétés de réduire leur facture fiscale. Elle entend également mettre fin à la possibilité pour les entreprises de reporter indéfiniment le paiement de l’impôt sur les profits réinvestis, une mesure adoptée en 1984 sous Pinochet.
Réforme de la Constitution
Mais si la voie semble grande ouverte pour accéder à la présidence, les chemins pour conduire les différentes réformes s'annoncent semés d'obstacles institutionnels, tout comme ce fut le cas pour Sebastien Piñera.
En cause : la Constitution de 1980, en vigueur depuis la dictature d'Augusto Pinochet. Si elle a été amendée à plusieurs reprises, le corps du texte reste inchangé, et notamment le système électoral, qui ne favorise pas le parti arrivé en tête. C’est pourquoi la refonte de la Constitution est devenue un thème majeur de cette campagne, proposée par la quasi totalité des neufs candidats. Pour y arriver, certains proposent de passer par une assemblée constituante, tandis que Michelle Bachelet préfère envisager les voies parlementaires.
Dans ce cas, la favorite de l'élection a besoin d'une majorité des deux tiers dans chacune des deux Chambres du Parlement. Mais tous les observateurs s'accordent à dire que ce pari est loin d’être gagné. Consciente de l'enjeu, la fille du général Bachelet, mort en détention sous la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), s'est attachée à mobiliser les électeurs, tant pour la présidentielle que les législatives, qui se déroulent le même jour, "parce que j'ai besoin d'un Congrès capable de se jeter à l'eau pour les changements dont le Chili a besoin", a-t-elle prévenu.