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Ils étaient comme des poissons dans l'océan au festival de musique gnaoua au Maroc : le pianiste cubain Omar Sosa et la chanteuse londonienne Eska. Deux artistes dont l'affinité avec ce "melting pot" musical n'est plus à démontrer. Rencontre.

LEXIQUE

*Maâlem

Détenteur de la tradition gnaoua, le maâlem chante et joue du guembri. Il se fait accompagner par des kouyous, ses disciples, qui jouent des quarqabus.

*Quarqabus

Sortes de castagnettes métalliques dont jouent les kouyous, tout en dansant et en chantant en réponse au maâlem.

*Guembri

Instrument du mâalem, qui produit le son d'une basse grave et sourde. Il est fabriqué à partir d'une caisse de résonance en acajou ou en noyer, recouverte d'une peau de dromadaire et de trois cordes tirées des intestins du bouc.

*Clave

La clave est une rythmique au nom espagnol ("clef"), d'origine africaine, très répandue dans la musique cubaine.

Ils font partie de ces quelques artistes réclamés encore et encore pour assister au festival de musique gnaoua, qui a eu lieu cette année du 20 au 23 juin, à Essouira, au Maroc. Le Cubain Omar Sosa et la Londonienne Eska,  tous deux pétris de jazz et de musique du monde, ont les oreilles attentives à tout ce qui se passe autour d’eux.

Omar Sosa avait déjà fait sensation lors de l’édition 2004 du festival, lorsqu’il avait improvisé aux côtés du maâlem* Mohamed Kouyou le temps d’une soirée. Neuf ans après, il revient aux côtés du maâlem Mahmoud Guinea, avec qui jouer est "une bénédiction, un cadeau", s’enthousiasme le pianiste cubain, en marge d’une répétition.

Après trois demi-journées, Omar Sosa a repris pied dans la musique gnaoua et a livré des répétitions où, le visage hilare tel un enfant, il accumulait le rythmes de claves* dans une saturation de quarqabus*. Cette rencontre dans le patio d’un riad était plus impressionnante encore que le concert donné sur la grande place Moulay Hassan, devant des milliers de spectateurs.

"La clave [rythme typique de la musique cubaine], vient d’Afrique !", rappelle Omar Sosa. "Nous avons tous le même berceau, que ce soit la musique gnaoua ou la musique cubaine : l’Afrique. Nous avons juste à exprimer ce que l’Afrique nous a donné et à communiquer avec les ancêtres." Pétri de spiritualité santeria, le pianiste a mille raisons d’avoir des affinités avec la confrérie soufie gnaoua d’Essaouira.

Londres métissé et soul fusionné

Les racines africaines relient également Eska aux gnaouas. Par d’autres chemins que la clave cubaine. La chanteuse, née au Zimbabwe puis élevée dans le melting-pot du sud-est de Londres, est plus qu’une chanteuse "soul". Enfant, Eska a écouté tout ce que le jazz, le funk et le blues a compté de prodiges. Ses expériences musicales l’amènent à monter sur scène avec le rappeur Ty, le jazzman Soweto Kinch, le batteur fondateur de l’afro-beat Tony Allen et le guitariste électro-indien Nitin Sawhney.

L’année dernière, au festival d’Essaouira, Eska avait forcé l’admiration du mâalem Hamid el-Kasri, pourtant rompu aux expériences de fusions, lors d’une soirée mémorable sur la scène du Bastion. La chanteuse avait proposé un chant inouï, qui se mariait à la perfection avec le chaloupé du guembri*.

"La musique gnaoua provient des esclaves d’Afrique sub-saharienne qui se sont établis au Maroc. Et je ne peux m’empêcher de faire des liens avec le blues, musique également issue des vagues d’esclavagisme, et qui ont échoué eux [le blues et les esclaves, NDLR] en Amérique du nord", explique Eska. "Ces musiques ont en commun une certaine tristesse, un goût doux et amer".

Eska dit même avoir l’impression, en chantant aux côtés du mâalem Abdelkebir Merchane,  d'accompagner un Miles Davis ou un John Coltrane d’une autre lignée que le jazz et le blues : celle de la musique gnaoua. Avec une telle disposition d’esprit, pas étonnant qu’Eska ait carte blanche à Essaouira.


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