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Mosquée de Strasbourg : Valls souffle le chaud et le froid sur l'islam de France

, envoyée spéciale à Strasbourg – Manuel Valls a inauguré ce jeudi la grande mosquée de Strasbourg. Le ministre de l'Intérieur s'est félicité d'un "islam de France nourri des valeurs d'humanisme", tout en soulignant qu'il serait intransigeant avec les salafistes. Reportage.

Une grande coupole noire surplombe désormais les toits de Strasbourg. La grande mosquée de l'agglomération alsacienne, septième ville de France par son nombre d'habitants, a été inaugurée, jeudi 27 septembre, en présence notamment du ministre marocain des Affaires islamiques, Ahmed Taoufiq, du ministre français de l'Intérieur et des Cultes, Manuel Valls, du grand rabbin de Strasbourg, René Gutman, et du maire de Strasbourg, Roland Ries. C’est une "discrimination [envers les musulmans] qu'il fallait corriger", a déclaré ce dernier, tandis que Manuel Valls a estimé que cette nouvelle mosquée "confère à l'islam son envergure, sa grandeur", ajoutant qu'il faut "donner toute sa place à la deuxième religion du pays; l'islam de France, c'est aussi la France".

Le projet de construction s’est matérialisé en une période agitée pour l'islam en France et secouée par les réactions à la vidéo  "L'Innocence des musulmans" et par l'affaire des caricatures de Mahomet publiées il y a une semaine par le journal satirique "Charlie Hebdo".

Manuel Valls s'est félicité de voir la communauté musulmane française réagir "avec maturité" et "finesse" aux caricatures. "Musulmans de France, soyez fiers de l'islam de France, nourri des valeurs d'humanisme, de respect de son prochain", a-t-il déclaré. Le ministre de l'Intérieur a également formulé le "rêve d'un islam de France universaliste", se démarquant du salafisme et devenant "un modèle pour l'islam dans le monde".


"Il est temps que l'islam de France prenne ses responsabilités"

Manuel Valls a néanmoins lancé un avertissement."La République sera intransigeante avec ceux qui entendent la contester et je n'hésiterai pas à faire expulser ceux qui se réclament de l'islam et représentent une menace grave pour l'ordre public et qui, étrangers dans notre pays, ne respectent pas nos lois et nos valeurs", a-t-il affirmé. "Je n'accepterai pas les comportements des salafistes et autres groupes qui défient la République, a-t-il ajouté. Il est temps que l'islam de France prenne ses responsabilités et s'organise pour traiter avec l'État les vrais problèmes : financement des lieux de cultes, formation des imams et des aumôniers, gestion du pèlerinage à la Mecque. "

Autre temps fort de cette cérémonie d'inauguration : le discours du grand rabbin de Strasbourg, René Gutman, aux côtés de ses coreligionnaires catholique et protestant, qui, ensemble, avaient signé une lettre en 1998 pour appeler de leurs vœux la construction de cette mosquée.  "Dès que l'on va vers l'autre, il y a la crainte de prendre un risque", reconnaît le grand rabbin, interrogé à la fin de la cérémonie. "Quel risque ? Le risque de mieux se connaître et de mieux se découvrir. En faisant ce pas au nom de la communauté [juive] qui apprécie énormément de savoir que je suis là aujourd'hui, je crois qu'on aura aidé nos communautés à mieux se comprendre. Mon chemin est tracé, il est connu", a-t-il expliqué.

Le vaste édifice à l'architecture octogonale, qui peut accueillir jusqu’à 1 500 fidèles, a été construit le long de l'Ill, à deux kilomètres de la cathédrale et dans l'axe de la vieille synagogue.

À la sortie de la cérémonie, Myriam Erramami, fille de l'imam de Nancy, apprécie particulièrement la démarche. "Nous nous sentons souvent stigmatisés, nous sommes regardés de travers dans la rue. Avec mon voile, on m'a déjà demandé dans le tramway de Strasbourg : 'On est en France ici ?'. Entendre ces discours de réconciliation et d'amitié franche nous font beaucoup de bien", explique la jeune femme.

Dans son discours, le ministre de l'Intérieur fait de ce point de vue un modèle qu'il retourne en miroir à la communauté musulmane : "L'antisémitisme est un fléau que l'islam de France doit relever, ici et maintenant. Quel plus beau symbole que celui offert ici à Strasbourg, aux Français, à l'Europe et au monde. Il n'y a qu'ici en France qu'il y ait cette image d'amitié et de concorde".

Financements étrangers

"On n'a jamais imaginé faire cette mosquée juste pour les musulmans. C'est un lieu pour tous les habitants de Strasbourg. Nous voulons qu'elle soit une passerelle entre les peuples et les religions", a souligné Abdellah Boussouf, historien marocain qui est l'un des initiateurs du projet.

Il a fallu près de vingt années, émaillées de vicissitudes politiques et financières, pour faire aboutir le projet de grande mosquée de Strasbourg, qui ne faisait pas l’unanimité au sein de la communauté musulmane de l'agglomération de la ville, forte de 40 000 à 60 000 personnes. La communauté turque, très importante à Strasbourg, a notamment préféré défendre son propre lieu de culte.

Aujourd'hui présidée par le Marocain Saïd Aalla, la mosquée a d'abord été voulue par la communauté marocaine de Strasbourg. Les fidèles ont contribué au financement du projet. Abdellah Boussouf aime détailler l'ampleur et la diversité du soutien des particuliers : "J'ai reçu des dons de chrétiens et de juifs, des cotisations de prisonniers et même une mallette remplie des bijoux en or des femmes musulmanes de Strasbourg ! Cette mallette a représenté une contribution décisive. J'espère que les femmes auront leur place dans les instances dirigeantes de la mosquée".

Les collectivités locales alsaciennes - Ville, Département et Région - ont pour leur part contribué à un quart du budget (plus de deux milliards d'euros). Mais ce sont des pays étrangers qui ont supporté le plus gros du financement : un tiers (près de 4 millions sur les 10,5 millions d'euros de budget) a été apporté par le royaume chérifien et l'Arabie saoudite a également contribué à hauteur de 900 000 euros.

Des financements étrangers dénoncés par le Front national qui se dit opposé à ce que l’islam bénéficie des avantages liés au droit local d'Alsace-Moselle. "La République ne peut accepter ces financements extérieurs sur le territoire national, à Strasbourg comme ailleurs. Ils permettent des intrusions et des pressions incontrôlables", a écrit dans un communiqué Bertrand Dutheil de la Rochère, conseiller "République et laïcité" de Marine Le Pen.

Strasbourg tombe en effet sous le régime du Concordat qui a perduré en Alsace et en Moselle, et peut ainsi financer des lieux de culte sans être visé par la loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État qui concerne le reste du territoire français.

Dans une région où le vote Front national est important (22,12 % au premier tour de la dernière élection présidentielle), Manuel Valls a stigmatisé les "paroles de détestation et de rejet" de la présidente du parti d'extrême-droite, Marine Le Pen, qui, "en tenant des propos incendiaires fait du mal à la France". Le ministre de l'Intérieur souhaite, lui, se poser en "garant de la laïcité qui protège".