
Le site spécialisé dans les révélations de grande ampleur WikiLeaks a rendu publics 5 millions de mails de Stratfor, une société américaine. Cette dernière était présentée comme une "semi-CIA privée" par le magazine Barron's, en 2001.
La machine à révélations WikiLeaks s’est remise en marche ! Le site, qui s’était rendu célèbre fin 2010 en divulguant 250 000 câbles diplomatiques américains, a publié lundi, plus de 5 millions d’emails de Stratfor, une société américaine basée à Austin (Texas), spécialisée dans le renseignement et composée d’une vingtaine de personnes, que le magazine financier américain Barron's qualifiait de “semi-CIA privée” en 2001.
Un air de règlement de comptes...
Ces messages électroniques, envoyés entre 2004 et fin 2011, ont été soumis en avant-première à 25 médias partenaires de WikiLeaks, dont le site Owni en France, qui ont commencé à les explorer dans l'espoir d’éventuelles révélations. WikiLeaks s’est d’ores et déjà ému du rôle que Stratfor aurait joué pour tenter de destabiliser le site et son plus célèbre porte-parole, Julian Assange. “Il y a plus de 4 000 e-mails qui traitent de WikiLeaks ou de Julian Assange”, s’insurge WikiLeaks dans un communiqué de presse disponible en ligne.
Pour la première fois, WikiLeaks publie des documents qui n'ont pas été fournis par une source interne à une structure. Ces 5 millions d'envois sont, en effet, le butin d'une attaque informatique menée contre les serveurs de Stratfor, fin 2011, par des "hacktivistes" du collectif Anonymous. La société s'est, dans un communiqué, émue de cette utilisation de "documents volés". Elle craint, en outre, que certains messages publiés soient "tronqués ou modifiés”, afin de leur faire dire ce qu’ils ne disent pas, car il s’agirait, selon Stratfor, “de communications privées de collaborateurs de la société”.
Une réputation écornée
Ces révélations portent un sacré coup à la réputation de cette entreprise qui tire sa renommée de son réseau international d’informateurs et de la qualité de ses analyses géopolitiques. Fondée en 1996, Stratfor s’est fait connaître du grand public en mettant sur pied le Kosovo Crisis Center, en 1999, qui publiait des rapports très détaillés sur la guerre en ex-Yougoslavie - souvent repris par des médias respectés, comme la BBC ou CNN.
Avant le conflit dans les Balkans, Stratfor était déjà connue dans le petit monde des officines privées de renseignement. Cette société, dirigée par George Friedman, professeur de sciences politiques et vétéran de l’intelligence économique, avait été l’une des seules a prédire, dès 1998, que le président philippin Joseph Estrada ne finirait pas son mandat (sous le coup d’accusations de corruption, il a dû démissionner en 2001). La société s’est également illustrée en misant dès 1998 sur Vladimir Poutine comme un possible successeur à Boris Eltsine.
Les sources de Stratfor
Stratfor a toujours expliqué que les informations utilisées pour leurs analyses provenaient de sources accessibles sur Internet et d’informateurs aux premières loges. L’entreprise publie gratuitement une lettre d’information succincte et propose, pour 140 dollars par an, des rapports et analyses plus complets.
Les premiers messages qui ont attiré l’attention dans le lot des 5 millions de mails rendus publics remettent en cause la prétendue indépendance de Stratfor. La société aurait ainsi des liens privilégiés avec des grandes entreprises américaines de la Défense : Lockheed Martin et Northrop, notamment. Elle aurait aussi agi, en 2004, pour le compte du géant de l’industrie chimique indienne Bhopal Dow Chemical, en espionnant des activistes locaux. Pour Stratfor, ces messages seraient seulement le reflet “du travail de tout analyste en géopolitique pour se construire un bon réseau de sources à travers le monde”.