Le nouveau gouvernement marocain dirigé par l'islamiste Abdelilah Benkirane devra maintenir l’équilibre des pouvoirs au sein de son équipe tout en s'affirmant face au Palais. Une mission bien délicate.
Il aura fallu attendre un gros mois de tractations pour que le nouveau gouvernement marocain, qui sera dirigé par Abdelilah Benkirane, nommé au poste de Premier ministre le 29 novembre 2011, voit le jour. Et sans surprise, les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), grands vainqueurs des élections législatives organisées le 25 novembre, obtiennent le plus grand nombre de ministères, avec 12 portefeuilles sur 30.
Le gouvernement de coalition est complété par des ministres issus de deux partis proches du palais, l'Istiqlal (conservateurs) et le Mouvement populaire (centre-droit), ainsi que du Parti du progrès et du socialisme (ex-communistes). En outre, des personnalités sans affiliation politique, mais proches du roi, se sont vues confiées des ministères importants, dont celui de la Défense et des Affaires islamiques, deux domaines réservés du roi Mohammed VI.
- Ministre d'Etat: Abdellah Baha (PJD)
- Ministre de l'Intérieur: Mohand Laenser (MP)
- Ministre des Affaires étrangères Saad-Eddine El Othmani (PJD)
- Ministre de la Justice et des libertés: Mustafa Ramid (PJD)
- Ministre de l'Economie et des finances: Nizar Baraka (PI)
- Ministre de l'Emploi : Abdelouahed Souhail (PPS)
- Ministre de l'Education nationale: Mohamed El Ouafa (PI)
Un mois de tractations
"Le PJD est sorti indemne des négociations difficiles, parfois tendues avec ses partenaires, puisqu’il s’est adjugé plusieurs ministères-clés, comme celui des Affaires étrangères, de l’Enseignement supérieur et enfin celui de la Justice", juge Mohamed Tajeddine al-Hussaïni, professeur de droit international à l'Université Mohammed-V de Rabat.
Toutefois, la tâche s’annonce compliquée pour le Premier ministre marocain, qui devra manœuvrer pour maintenir l’équilibre des pouvoirs au sein de son gouvernement d’une part, et s’affirmer face au Palais. "Benkirane aura affaire à un double front : le Palais et sa propre majorité", analysait, récemment, le politologue Youssef Belal, dans les colonnes de "Le Soir-Écho". Or le bras de fer au sein de la coalition qui a débouché sur d’importantes concessions du PJD laisse déjà présager des lendemains difficiles. En effet, malgré la consécration politique que représente en soi l’entrée au gouvernement pour les islamistes, des maroquins aussi stratégiques que ceux de l'Économie et de l’Intérieur leur ont échappé au profit des autres partis.
"Parce qu’il est né dans la douleur, ce gouvernement risque d’avoir énormément de difficulté à gérer ses dossiers, notamment à cause de sa constitution idéologiquement hétéroclite, mais aussi des crispations qui ne manqueront pas d’avoir lieu entre les partis", estime Mounia Belafia, correspondante de FRANCE 24 au Maroc. Et de poursuivre : "La tension sera vive entre l’Istiqlal, habitué à gouverner et le PJD, qui s’est forgé dans le rôle de premier opposant à ce même parti."
"Gouvernement de l'ombre"
La survie de sa coalition ne sera pas le seul défi du Premier ministre Benkirane. Selon plusieurs observateurs, c’est plutôt la bataille entre les prérogatives de son équipe gouvernementale et celles du roi et son entourage qui risque de faire rage. "Ce n’est pas le parti de l’Istiqlal qui va tenir tête au Palais. Demain, il y aura certainement des crises entre le Palais et le chef du gouvernement", poursuit Youssef Belal.
Les récentes nominations par le monarque de plusieurs figures de l’ancien cabinet à des postes de conseillers, au point de constituer un "gouvernement de l’ombre", sont en effet annonciatrices de grandes tensions. "Le Palais s’est entouré d’une batterie de nouveaux conseillers, beaucoup plus expérimentés que les nouveaux ministres, pour être dans une position de force et pour veiller sur les orientations politiques de l’équipe de Benkirane", explique Mohamed Tajeddine al-Hussaïni.
Reste à savoir comment va fonctionner ce triumvirat inégal. "Y aura-t-il concertation ou confrontation entre ce gouvernement et le roi, c’est la question que tout le monde se pose aujourd’hui au Maroc", conclut Mounia Belafia.