Neuf mois après le renversement du président Moubarak, les Égyptiens ont de nouveau investi la place Tahrir pour protester contre le pouvoir de l’armée. Des sources médicales font état d'une vingtaine de morts dans des affrontements.
"Le calme est précaire ce matin sur la place Tahrir, affirme Sonia Dridi, correspondante FRANCE24 en Égypte. Quelque 3 000 personnes sont rassemblées et on note encore des affrontements sporadiques".
Dans la matinée de lundi, cheikh Mazhar Chahine, l'imam de la mosquée Omar Makram située sur la place Tahrir, a pourtant assuré à la télévision publique avoir conclu un accord de cessez-le-feu avec les forces de l'ordre.
itCe week-end, vingt-deux personnes au moins ont été tuées lors de violents affrontements entre les forces de sécurité et des manifestants dans une rue adjacente à la place Tahrir, aux abords du ministère de l’Intérieur.
"Il y a eu des centaines de manifestants armés de cocktail Molotov qui ripostaient aux tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc des forces de l’ordre", raconte Sonia Dridi. Et de préciser : "Des médecins assurent avoir vu plusieurs personnes tuées par balles réelles".
Au total, on dénombre également plus de 1 000 blessés. "La plupart d’entre eux n’osent même pas monter dans les ambulances de peur d’être ramenés aux autorités", ajoute-t-elle pour décrire l’angoisse qui règne dans la ville. Des dizaines de personnes ont également été interpellées.
En réaction, le ministre égyptien de la Culture, Imad Abou Ghazi, a présenté sa
démission pour protester "contre la manière avec laquelle le gouvernement a traité les derniers événements sur la place Tahrir". De son côté, la Ligue arabe a appelé au calme, afin de ne pas compromettre le "changement démocratique".
"Un gouvernement civil et militaire"
Neuf mois après la révolution qui a chassé le président Hosni Moubarak en février, des milliers d'Égyptiens sont redescendus sur la place pour exiger auprès des militaires une accélération du transfert du pouvoir aux civils. Les manifestants scandaient différents slogans : "Le peuple veut la chute du régime", ou "Le peuple veut l'exécution du maréchal" Hussein Tantaoui, dirigeant du pays et ancien ministre de la Défense.
"Une activiste affirmait qu’on assistait à une deuxième vague de la révolution", rapporte Sonia Dridi. Interrogée sur FRANCE24, Basma Nawad, activiste égyptienne basée à Paris, estime que "la révolution continue car rien n’a changé entre le gouvernement Moubarak et le gouvernement actuel de Tantaoui". Et d’ajouter : "Nous demandons un gouvernement civil et non militaire".
Sonia Dridi note toutefois quelques différences avec le rassemblement du début de l’année. "On retrouve tous les courants de la société égyptienne, commente-t-elle. Mais personne ne demande aux manifestants de quitter la place. Cette fois-ci, le public est uni contre le pouvoir des militaires".
L'armée, qui a pris les rênes du pays après la chute d'Hosni Moubarak, a dit "regretter" les heurts de ce week-end, tout en réaffirmant s'en tenir au calendrier électoral établi, dans un communiqué lu dans la soirée à la télévision publique.
Le flou entourant la date du scrutin présidentiel suscite de nombreuses craintes. Les manifestants soupçonnent notamment les militaires d'œuvrer en coulisses pour conserver le pouvoir tandis qu'ils supervisent le processus de transition.
Le Mouvement du 6-Avril, leader durant la contestation contre le régime de Moubarak, a prévenu qu'il occuperait la place tant que ses revendications n'auraient pas été acceptées. Il propose notamment d'élire une Assemblée constituante, puis un président et enfin un Parlement.
"Pratiques du ministère de l'Intérieur de l'ancien régime"
Les militaires se sont engagés à rendre le pouvoir aux civils après l'élection d'un nouveau président, qui n'aura pas lieu avant fin 2012. Entre-temps se tiendront les élections législatives du 28 novembre -qui s’étaleront probablement sur plusieurs semaines-, un scrutin devant aboutir à la formation d’une Assemblée puis à la rédaction d’une nouvelle constitution.
Les Frères musulmans, dont le parti Liberté et justice, fait figure de favori des élections législatives, ont condamné l'intervention des forces de sécurité au Caire. "Cela rappelle les pratiques du ministère de l'Intérieur de l'ancien régime", disent-ils dans un communiqué.
Mohamed El Baradeï et Abdallah al-Achaal, tous deux candidats potentiels à l'élection présidentielle, ont dénoncé les violences contre les manifestants et réclamé la formation d'un gouvernement de salut national, a rapporté l'agence de presse Mena. Plusieurs partis ont notamment interrompu leur campagne pour rejoindre les protestataires.
Mais le scrutin semble, pour l’heure, maintenu. Le général Mohsen al-Fangari, porte-parole du Conseil supérieur des Forces armées (CSFA) a déclaré : "Nous n'allons pas céder aux appels pour reporter le scrutin. Les forces armées et le ministère de l'Intérieur sont capables d'assurer la sécurité des bureaux de vote".