
Une étude conjointe d’un cercle de réflexion bruxellois et d’une banque allemande juge que la France est le cancre des pays de la zone euro bénéficiant du triple A. Des conclusions qui ne convainquent pas tout le monde.
Nouveau coup de poignard dans le triple A français. Ce n’est ni une agence de notation ni un organisme international qui tire la sonnette d’alarme cette fois-ci, mais un cercle de réflexion économique bruxellois, The LisbonCouncil, et une banque allemande, la Berenberg Bank.
Dans leur premier baromètre Euro Plus Monitor publié mardi 15 novembre, qui note la santé économique des pays de la zone euro et leurs efforts pour améliorer leur situation, Paris en prend pour son grade. Parmi les six États de la zone euro (Allemagne, Autriche, Finlande, Pays-Bas, Luxembourg, France) à bénéficier du fameux AAA - la meilleure note dans le classement des agences de notation -, la France fait figure de bon dernier de la classe. En fait, ces économistes classent l’Hexagone à la 13e place derrière l’Espagne et juste devant l’Italie, deux pays qui risquent actuellement de suivre un scénario à la grec.
Pour parvenir à cette conclusion alarmiste, l’étude relève que la France, handicapée par une croissance atone, souffre d’un marché du travail sclérosé qui empêche les jeunes de trouver un emploi et d’une productivité à la traîne.
Bourde de Standard & Poor's
Ce tableau d’un pays peu compétitif qui n'offre pas beaucoup d’espoir à sa jeune génération de décrocher un poste tranche avec le ton général du rapport. The LisbonCouncil et la Berenberg Bank estiment, en effet, que les efforts de réforme entrepris dans un grand nombre de pays de la zone euro devraient permettre à l’Europe d’être l’une des régions les plus dynamiques au monde dans quatre à cinq ans. Même la Grèce et le Portugal obtiennent un satisfecit pour leur travail de redressement de leurs finances.
Cette image de vilain canard de la zone euro tombe au pire moment pour la France. L'étude intervient quatre jours après la bourde de Standard & Poor's qui a dégradé par erreur la note française. Elle met également un peu plus la pression sur le gouvernement français qui tente actuellement, grâce à deux plans de rigueur décidés à trois mois d’intervalle, de sauvegarder son triple A. Les auteurs de ce baromètre vont même jusqu’à conseiller au président Nicolas Sarkozy de décider de nouvelles réformes - “probablement impopulaires” - avant l’élection présidentielle de 2012.
“Concours de beauté”
Un acharnement thérapeutique qui n’est pas du goût de tous. “La seule chose sur laquelle on peut être d’accord est que la France est le pays bénéficiant d’un triple A qui se porte le moins bien”, déclare à France 24 Eric Heyer, spécialiste de l’économie française et directeur adjoint au département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). “Pour le reste c’est un coup marketing brillant, mais un travail qui n’est pas très sérieux”, ajoute-t-il.
Il dénonce ces classements qui ressembleraient “plus à des concours de beauté” qu’à autre chose. “Avant la crise, les deux pays européens montrés en exemple étaient l’Irlande et l’Espagne qui sont aujourd’hui devenus des moutons noirs de l'Europe”, rappelle-t-il.
Au-delà de la méthode, ce sont les résultats qui laissent l'économiste perplexe. L’appel lancé par cette étude à une plus grande flexibilité sur le marché du travail français relèverait du non-sens selon lui. “L’OCDE évalue également cette flexibilité grâce au taux de rotation des salariés et il n’y a que l’Espagne qui a un taux plus élevé”, souligne-t-il.
Querelles de statisticiens
Le déficit supposé de compétitivité serait lui aussi contestable. Le baromètre Euro Plus Monitor prend en compte l’ensemble des secteurs de l’économie alors “qu’il conviendrait de ne regarder que ceux où il y a une concurrence, c’est-à-dire essentiellement les activités manufacturières”, estime Eric Heyer. Dans cette hypothèse, la situation française devient soudainement plus enviable. Elle n’aurait perdu en compétitivité que par rapport à l’Allemagne, mais se comporterait mieux que la moyenne des autres États de la zone euro.
Cette remise en cause de l’étude du LisbonCouncil et de la banque Berenberg prouve avant tout qu’il y a plusieurs manières d’analyser les données disponibles. Mais au-delà des querelles de statisticiens, certains faits soulignent que la France n’a pas encore rejoint le cortège des économies les plus fragiles. Ainsi, avant la crise grecque, le taux d’intérêt auxquel Paris pouvait emprunter sur les marchés dépassait les 4%. Il est aujourd’hui tombé à un peu plus de 3,5%, “ce qui prouve que les marchés jugent que la dette française est toujours une valeur refuge”, conclut Eric Heyer. En outre, la France était selon le baromètre 2010 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) la première destination en Europe des investissements étrangers. Des investisseurs qui semblent donc avoir encore une certaine confiance en l’économie française.