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Céréales : la spéculation fait-elle flamber les prix ?

Janvier 2011. Le prix des matières premières agricoles s’envole. Dans le monde, les portefeuilles s’affolent. Le président français, Nicolas Sarkozy, accuse ouvertement les spéculateurs d’être responsable de cette flambée des prix. Du producteur au consommateur, le journal de l’Intelligence Economique d’Ali Laïdi a enquêté sur les causes de cette augmentation des prix des matières premières agricoles.

Depuis plusieurs mois, la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, s’inquiète : entre mai et août 2010, le prix de la tonne de blé a augmenté de près de 70% ! Dans de nombreux pays, se nourrir est devenu une véritable épreuve. Les portes monnaies ne suivent pas l’envolée du cours des céréales.
La FAO redoute donc de nouvelles émeutes de la faim, semblables à celles qui, en 2008, avaient fait de nombreuses victimes dans les pays en développement. La FAO n’accuse cependant pas directement les spéculateurs d’être à l’origine de ces fluctuations. Elle met en garde les gouvernements du Nord sur la baisse de l’aide au développement consacrée à l’agriculture. "Nous sommes passés de 19 % (d’aide internationale au secteur agricole) en 1980 à 3% en 2006 et nous sommes en ce moment aux alentours de 5-6%" explique Jacques Diouf, directeur de la FAO. Jacques Diouf regrette également que les pays du sud ne consacrent pas assez d’argent à leur autonomie alimentaire. Résultat : on crée des conditions favorables à la spéculation.

Et cette spéculation, le président français, la condamne vivement. Alors qu’il prend la présidence du G20, en janvier 2011, Nicolas Sarkozy juge les spéculateurs entièrement responsables de la hausse des prix des matières premières agricoles. Dans un discours très critique, il pointe leur irresponsabilité : "Il y a quelques semaines, sur le marché du cacao un intervenant financier a acheté à lui tout seul 15 % des stocks ! Comme ça ! C'est à dire que sur ces marchés-là, n'importe qui peut acheter n'importe quelle quantité -sans d'ailleurs la payer-, la revendre n'importe comment au moment où il le souhaite, empocher la plus value, sans être obligé, ni d'avoir livraison de la cargaison physique, ni d'avoir bloqué une partie de la somme engagée". A la tête du G20, le président français entend donc surveiller les spéculateurs qu’il juge responsable de la volatilité des prix.

Responsable mais pas coupable, car à l’heure actuelle, aucune étude ne parvient à démontrer le lien entre augmentation des prix et spéculation.
Du Centre d’Analyse Stratégique (CAS) à Paris, à la Commission Européenne à Bruxelles, les discours s’accordent : tous reconnaissent que la spéculation existe, que les marchés financiers manquent de transparence, et que des progrès en matière de régulation et d'intervention sont nécessaires. Dans une communication publiée en février 2011 ("Relever les défis posés par les marchés des produits de base et les matières premières"), la Commission Européenne entend d’ailleurs examiner de quelle manière la spéculation financière influe sur le prix des produits agricoles.

Car lors de la dernière décennie, les investissements dans l’agriculture n’ont cessé d’augmenter : passant de 13 milliard d’euros en 2002, à 205 milliard d'euros en 2010. Jamais la finance n’a autant investi dans l’agriculture !

Pourtant en 2010 les céréales manquent. L’année passée a été particulièrement meurtrière pour les récoltes : sécheresse en Russie et en Chine, pluie diluvienne en Australie… L’impact sur les marchés des céréales a été immédiat ! Chute de l’offre et maintien de la demande : pour les agriculteurs, l’augmentation résulte de la tension entre offre et demande, en un mot, la loi classique du marché.

Pour autant ces mêmes agriculteurs reconnaissent que les marchés agricoles manquent de transparence, aucune règle ne contraignant les spéculateurs, ni les gouvernements à donner des chiffres de production précis.
Certains pays n’hésitent d’ailleurs pas à truquer leurs chiffres, afin de conserver des aides ou des prêts bancaires aux agriculteurs.
Pour le président de la FAO, Jacques Diouf, la seule solution pour contrôler ces marchés devenus la proie des spéculateurs, serait de revenir aux règles antérieures du marché.