Un remaniement du gouvernement de transition est attendu mercredi afin de pourvoir les postes vacants et de calmer la colère de la rue. Les Tunisiens réclament un gouvernement délesté des caciques du régime de Ben Ali.
Les autorités vont annoncer mercredi "la nouvelle composition du gouvernement" a indiqué mardi soir, le porte-parole du gouvernement de transition Taieb Baccouch, cité par l'agence de presse tunisienne TAP.
"Peut-être va-t-il y avoir de nouvelles démissions", expliquait-il lundi à des journalistes de l’AFP. "Donc il y aura un minimum de six, sinon plus, postes à pourvoir, et cela va nécessiter un remaniement ministériel", poursuivait Taieb Baccouch, faisant référence aux cinq ministres qui ont démissionné la semaine dernière.
Mardi, le climat s'est sensiblement crispé à Tunis. Un première manifestation en faveur du gouvernement de transition s'est tenue dans les rues de la capitale. Un face-à-face musclé a opposé ces manifestants à un autre groupe de manifestants exigeant un exécutif complètement nouveau et épuré des anciens du régime de Zine El-Abidine Ben Ali.
itLa rue conteste depuis une semaine la composition du gouvernement de transition. La promesse du Premier ministre Mohamed Ghannouchi de quitter le pouvoir après la période de transition n’a pas suffi à apaiser la contestation. Ce mardi matin, ils étaient encore un millier de manifestants à réclamer la démission du gouvernement. La plupart ont bravé le couvre-feu pour la seconde nuit consécutive en campant sur l’esplanade de la Kasbah, devant le siège du Premier ministre. Venus pour beaucoup de milieux ruraux, bastions de la révolution tunisienne, ils ont rejoint la capitale tunisienne dimanche, accentuant encore un peu plus la pression de la rue sur les autorités tunisiennes.
Au total, sept ministres – dont le Premier ministre Mohamed Gannouchi – détiennent des postes clés dans le nouveau gouvernement, notamment à la Défense, à l’Intérieur, aux Affaires étrangères ou aux Finances. "Les ministres de l’ancien parti au pouvoir ne sont pas majoritaires, rappelle cependant Taieb Baccouch. Les autres membres de l’exécutif provisoire ont accepté de siéger avec eux en pensant qu’une continuité d’État est nécessaire".
C’est, en substance, ce qu’a tenté d’expliquer aux manifestants Rachid Ammar, chef d’État-major de l’armée de terre, devenu icône de la révolution pour avoir refusé de tirer sur la foule le 12 janvier, comme l’avait ordonné Zine El-Abidine Ben Ali.
"Le risque du changement radical, c’est le chaos"
"Notre révolution est votre révolution. La révolution de la jeunesse pourrait être perdue et exploitée par ceux qui appellent à un vide. L'armée protégera la révolution", a encore déclaré le général Ammar lundi, devant la foule amassée devant le siège du gouvernement à Tunis. En vain. "Nous ne renonçons pas : nous resterons jusqu'à ce que tombe le gouvernement", ont répondu les manifestants.
Pour Jean-François Daguzan, maître de recherche à la fondation pour la recherche stratégique et rédacteur en chef du magazine Maghreb Machrek, le vide qu’évoque le général Ammar constitue un risque pour le pays. "Une bonne partie de la population est excédée par 23 ans de dictature et d’exactions […] et demande un changement radical, expliquait-il lundi sur l’antenne de FRANCE 24. Le risque du changement radical, c’est le chaos, la guerre civile, et un schéma à l’irakienne après la chute de Saddam Hussein".
"La Tunisie a fait émerger une classe administrative et technocratique de très haut niveau, et dont de très nombreux membres ont été, par nécessité, membres du RCD [parti du pouvoir sous Ben Ali], poursuit le chercheur. Il va falloir s’appuyer sur eux, au moins sur ceux qui n’ont pas émargé par goût du lucre ou par ambition politique pure, parce que ce sont eux qui ont la compétence. Ce sont eux qui sont les seuls capables de tenir le pays sérieusement".
Des négociations sont en cours
Pour l’heure, selon Sihem Bensédrine, figure emblématique de l’opposition au régime de Ben Ali, des négociations sont en cours avec le gouvernement provisoire pour créer un "comité des sages", destiné à remplacer ou superviser l’exécutif contesté par la rue.
"L’idée est de créer une sorte de conseil pour la protection de la révolution", explique l’opposante. Son objectif serait en outre de rédiger un nouveau code électoral et d’organiser l’élection d’une assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution.
Une nouvelle Constitution pour le moins nécessaire pour la transition démocratique : l’appareil sécuritaire supervisant l’État policier sur lequel s’appuyait Ben Ali, n’a pas été démantelé. Forte d’au moins 120 000 policiers, elle continuerait de collecter des données sur les opposants. Selon Sihem Bensédrine, "on continue à nous enregistrer, à nous filer et la cyber-police est toujours opérationnelle".