Fraîchement expulsés vers la Roumanie, beaucoup de Roms n’ont qu’un seul souhait : revenir en France. Sur les 8 000 Roms rapatriés cette année plus que la moitié sont déjà repartis dans l’Hexagone. De Bucarest à Blois, notre reporter a suivi le retour d’une famille de Roms vers la France.
C’en est presque devenu un ballet aérien. Deux à trois fois par mois, un vol en provenance de France atterrit à Bucarest, la capitale roumaine, avec des Roms fraîchement expulsés de France. Fatigués, humiliés, excédés par la pression médiatique, ils retrouvent la Roumanie, le pays qu’ils avaient fui en masse dès l’adhésion à l’Union européenne en 2007. C’est le cas de Laura Duduveica, une Rom du village de Barbulesti, situé à une centaine de kilomètres à l’est de Bucarest. Elle a été expulsée avec son mari et ses deux fils de Boulogne-sur-Mer, au nord de la France. "Je me sentais bien en France, affirme-t-elle. En Roumanie j’ai l’impression d’être en trop, je ne pense qu’à repartir en France le plus rapidement possible".
Au total les Duduveica sont restés trois ans en France. Laura et son mari, Viorel, faisaient la manche. Roméo et son petit frère, Adrian, étaient scolarisés et parfaitement intégrés. Leur situation était loin d’être satisfaisante mais elle leur convenait. Pour eux, la Roumanie ne leur offre aucune perspective. L’expulsion de France a été traumatisante aussi bien pour les enfants que pour les parents. "Un matin, ils ont regroupé tous les hommes dans un coin du campement où l’on était, se souvient Viorel Duduveica. Ils nous ont mis des menottes. Il était quatre ou cinq heures du matin. Ils nous ont interdits de quitter le camp. Ils nous ont entassés dans les camions de police et ils nous ont amenés à Calais. La France est un pays démocratique, une république et tout le monde bénéficie des mêmes droits. Je leur ai dit que nous étions venus parce qu’ici on respectait l’égalité et la fraternité. En France, tout le monde est égal. On ne fait pas de différence de nationalité ou de couleur de peau. Le policier m’a répondu que l’égalité et la fraternité c’était pour eux, pour les Français, pas pour nous. Puis il m’a dit qu’il fallait que l’on rentre dans nos pays".
Mais tout cela est un lointain souvenir et désormais les Duduveica ne pensent plus qu’à une chose : repartir en France. Le 2 octobre ils sont prêts pour le départ. Pour seul bagage ils ont un sac dans lequel ils ont entassé les affaires de toute la famille. D’autres Roms du village les rejoignent et ils montent à onze dans une camionnette à neuf places. Mais peu importe les conditions du voyage, la perspective d’un retour en France leur redonne l’espoir d’une vie meilleure. Pendant ce temps l’expulsion des Roms de France est ardemment débattue au Parlement européen. La politique de Paris à l’égard de cette minorité est critiquée et de plus en plus de députés européens se demandent qu’elles sont les causes réelles de ces retours à la frontière. "Les autorités françaises ont décidé d’être plus rentables en matière d’expulsions et d’avoir de meilleurs chiffres d’expulsions, déclare Sylvie Guillaume, députée européenne. C’est quand même la feuille de route qui a été donnée au ministre Eric Besson par le président de la République. De ce point de vue, les Roms sont assez utiles puisqu’ils partent et reviennent en France. A l’occasion de chaque voyage ils rentrent dans les chiffres".
Trois jours de route
Tout cela semble bien loin de la camionnette qui ramène les Duduveica dans le pays des droits de l’homme. Au total il faut presque trois jours de route pour couvrir les trois mille kilomètres qui séparent la France de la Roumanie. Le chauffeur connaît bien le chemin. Toutes les deux semaines il fait des allers-retours pour ramener les Roms expulsés. Derrière la fatigue se fait rapidement sentir. "C’est bon, nous sommes en Europe !, s’exclame Viorel Duduveica après le passage de la frontière roumano-hongroise qui est aussi la frontière orientale de l’espace Schengen. Maintenant, c’est beaucoup mieux. On est sorti de Roumanie, de la misère et nous sommes entrés en Europe". La route jusqu’en France est longue et les Roms doivent se contenter des derniers morceaux de charcuterie achetés en Roumanie.
Le camp de Boulogne-sur-Mer a été entièrement rasé et les Duduveica ont décidé d’aller tenter leur chance à Blois, une petite ville tranquille au sud de Paris. Ici, des amis du village ont réussi à installer leurs tentes dans la cour d’un presbytère. Après cet épuisant voyage les façades bourgeoises de la ville sont rassurantes mais les Duduveica sont vite désenchantés. La réalité des conditions de vie de cet endroit apparaît brusquement. Il a plu la veille et les tentes où dorment les Roms sont entièrement inondées. Quelques heures plus tard une conseillère de la mairie est dépêchée sur place. "Vous êtes là, leur dit Geneviève Baraban. Je ne vais pas vous dire bienvenue parce que vous ne pouvez pas rester ici. C’est déjà très compliqué pour nous de gérer les familles roms qui se sont installées à Blois".
C’est un échec mais les Duduveica veulent encore y croire. Ils veulent à tout prix rester en France. "Maintenant, je reste ici quoi qu’il arrive, lance Laura Duduveica. Je ne vais plus quitter la France et je vais mettre mes enfants à l’école ici. Personne ne va expulser une seule famille. S’ils nous mettent dehors, ils n’ont qu’à expulser tous les étrangers, tous les Roumains qui sont en France". Cette fois-ci, la chance ne leur a pas souri mais les Duduveica sont prêts à aller faire la manche. Ils se paieront ensuite un voyage pour Nice où ils retrouveront un de leurs amis. L’odyssée française de cette famille rom est loin de se terminer.