Élu en juin, Juan Manuel Santos doit prêter serment samedi 7 août. Stephen Donehoo, expert de la Colombie, explique à france24.com quels sont les défis que devra relever le nouveau président colombien.
Le 59e président de la Colombie, Juan Manuel Santos, sera investi samedi 7 août. L'ancien ministre de la Défense s'était offert, en juin, une large victoire à l'élection présidentielle en surfant sur la politique sécuritaire, parfois controversée, de son héritier politique Alvaro Uribe.
Issu de l’une des familles les plus influentes de Colombie, Santos hérite à la fois d’une politique de défense nationale qui a largement contribué à affaiblir les rebelles des Farc mais aussi de relations diplomatiques avec le Venezuela et l’Equateur qui se sont largement détériorées ces derniers mois.
Interrogé par FRANCE 24, Stephen Donehoo, expert de la Colombie et directeur du cabinet de consultants McLarty Associates basé à Washington D.C., explique comment Santos va devoir composer avec le lourd héritage de son prédécesseur tout en définissant sa propre politique face aux défis qui l'attendent.
En quoi le gouvernement de Santos sera-t-il différent de celui d’Uribe ?
Stephen Donehoo : Il faut s’attendre à ce qu’il propose une politique plus ouverte sur l'international au vu de son expérience diplomatique et de ses postes de ministre [Finances, Commerce extérieur et Défense ndlr]. Depuis sa victoire à la présidentielle, Santos a déjà effectué plusieurs voyages en Europe et en Amérique latine, mais il ne s’est pas encore rendu à Washington. Je pense que c’est révélateur. Il existe déjà des liens forts entre la Colombie et les Etats-Unis. Santos va donc œuvrer à renforcer et à créer des relations avec d’autres pays, notamment ses voisins.
Au terme d’une année de pouvoir, son gouvernement sera lié avec ceux de la région qui suivent la même ligne, comme la République Dominicaine, le Mexique, le Costa Rica, le Panama ou encore le Pérou. Mais je pense qu’il va également chercher à se rapprocher d’autres Etats centristes comme le Guatemala, le Salvador, le Paraguay, l’Uruguay et même l’Equateur si l’affaire judiciaire dans laquelle il est impliqué est réglée [il est poursuivi en Equateur pour "assassinat" après avoir ordonné l'attaque d'un camp de la guérilla des Farc en Equateur, opération au cours de laquelle 25 personnes sont mortes ndlr.]
Quel genre de personnes Santos va-t-il choisir pour former son gouvernement ?
S. D. : Il semble qu'il opte pour des personnes expérimentées, compétentes et qui ne soient pas, à une ou deux exceptions près, des politiciens. Le réel point fort de Santos est son expérience internationale qui lui vient de son éducation, mais aussi de ses différents postes de ministre. Si Santos avait un point faible, je dirais qu'il n'est pas infaillible en matière de politique intérieure. Il n’a que très peu d'expérience concernant les régions rurales de Colombie ou les quartiers pauvres des villes. Le pays regorge de potentiels en matière d’investissements mais pâtit d'un manque d'infrastructures. Santos en est bien conscient. Ce n’est donc pas un hasard s’il a nommé ministre des transports l’ancien maire de Manizales (ouest), German Cardona, et l'économiste Juan Carlos Echeverry au poste de ministre des Finances. Selon moi, Santos veut faire de la croissance et de la construction d’infrastructures les chantiers phares de sa politique.
D’après vous, les relations houleuses qu’entretiennent la Colombie et le Venezuela peuvent-elle s'améliorer sous la présidence de Santos ?
S. D. : On ne peut réellement le savoir avant les législatives qui doivent avoir lieu au Venezuela en septembre. L’agitation à laquelle on a assisté ces deux derniers mois était en grande partie causée par les personnalités mêmes du président Hugo Chavez et de son homologue colombien Alvaro Uribe. Il est intéressant de remarquer que Hugo Chavez dépeint aujourd'hui Alvaro Uribe comme le méchant et Juan Manuel Santos comme le gentil. Il avait pourtant été très virulent contre Santos quand il était ministre de la Défense et candidat. On verra ce que Santos décide de faire entre son investiture et les élections au Venezuela, mais Uribe avait prévenu Caracas que son pays pourrait poursuivre Chavez et des membres du gouvernement devant la justice internationale pour avoir protégé des Farc, qui sont reconnus comme une organisation terroriste.
Santos pourrait-il accepter de négocier avec la guerilla des Farc, comme cette dernière l’a proposé ?
S. D. : C’est ce qui se passe à chaque nouveau gouvernement. Un leader des Farc vient dire “nous souhaitons discuter”, mais j’ignore aujourd'hui ce que les Farc ont à offrir. Il ne compte plus qu'environ 5000 hommes, dont la moitié se trouve à l’étranger. Les forces de sécurité les ont repoussées si loin dans la jungle et si haut dans les montagnes qu’ils n’ont que de rares contacts avec la population civile. Ils ont donc des problèmes pour s'approvisionner et aussi pour recruter de nouveaux membres.
Pour sa part, Santos n’a aucune raison de répondre positivement à cette demande. Il sait très bien qu'elles ne sont pas prêtes de se dissoudre. La seule chose qu'il peut faire, c'est continuer à faire preuve de bonne volonté en public. Mais je pense que Santos va plutôt donner aux forces colombiennes, à la police, aux services secrets et aux avocats les moyens et la liberté de manœuvre pour continuer à les affaiblir en Colombie et ailleurs dans le monde.