À l'ère des réseaux, les ficelles traditionnelles de la communication de crise auxquelles les entreprises ou les États ont recours n'ont plus la même efficacité. Récemment pris pour cibles sur le Web, BP et Israël en savent quelque chose...
"On avait l’habitude de dire qu’en temps de crise, les 24 premières heures étaient les plus importantes. Avec l’Internet, ce sont plutôt les 24 premières minutes." Cette vérité énoncée par le Britannique Khalid Aziz, auteur de "Réussir sa communication en temps de crise", BP et Israël l’éprouvent actuellement au quotidien.
La marée noire dans le golfe du Mexique et, dans un autre registre, le raid sanglant mené par la marine israélienne contre une flottille d'aide internationale au large de Gaza la semaine dernière, ont provoqué une vague de réactions outrées sur la Toile. Une déferlante qui met à mal les stratégies classiques de communication des grandes entreprises et des gouvernements en temps de crise. Les grands gourous de la com’, quant à eux, sont confrontés à de nouvelles chausse-trapes qu’ils n’évitent pas toujours.
Tel est le cas de BP, par exemple. Englué dans la marée noire et attaqué de toute part sur le Net, le géant pétrolier a décidé, mardi, d’acheter plusieurs mots-clés sur Google pour améliorer sa visibilité en ligne. "C’est plutôt stupide comme initiative et BP doit s’attendre à un effet boomerang", juge Khalid Aziz. Une opinion partagée par Didier Heiderich, président de l’Observatoire international des crises en France et auteur de l'ouvrage "Rumeurs sur l’Internet". "Cette initative donne l’impression que BP veut saturer le Net avec son message et souligne que le groupe a des moyens que l’internaute lambda n’a pas", analyse celui-ci. Une bonne communication de crise sur les réseaux passe plutôt par une prise en compte de la culture Internet et de ce que Didier Heiderich appelle la "déhiérarchisation". En clair, sur la Toile, tout le monde est égal et gare à celui qui se présente comme supérieur.
Tentations
"Il y a un principe de base sur Internet : c’est l’intégrité de la communication", poursuit Heiderich. Une intégrité qui se traduit par un mélange d’honnêteté dans la présentation des faits et de respect des internautes, même - et surtout - quand ils attaquent la société ou la structure en crise. "Il faut se cantonner aux faits et les mettre à jour le plus souvent possible", renchérit Khalid Aziz. D’où la nécessité d’une présence sur les réseaux sociaux et de la mise en place d’une équipe dédiée à cette tâche. "Jusqu’à ce que BP succombe à la tentation d’acheter des mots-clés, le groupe avait plutôt bien géré sa présence en ligne", assure Didier Heiderich.
les deux experts dressent un constat similaire à propos d'Israël. "L'État hébreu a répondu rapidement à la campagne orchestrée contre lui sur Internet après l'assaut contre la flottille", estime Khalid Aziz. Mais il s'est également égaré en mettant en ligne une vidéo qui ne montre que le point de vue israélien de l'abordage. Cette vision partiale a été très mal perçue sur la Toile.
Impossible à repeindre en rose
Reste que, dans les deux cas, bonne communication ou pas, le coup porté à l’image de l'entreprise ou du pays est rude. Que faire, en effet, face à de faux comptes Twitter de relation presse comme BPGlobalPR et ses déclinaisons IsraelGlobalPR et HamasGlobalPR ? Leur succès viral donne à leurs propos une caisse de résonnance que la communication institutionnelle ne peut pas avoir sur la Toile.
"Quand on est une multinationale ou un État, il faut donc savoir accepter de prendre des coups", conclut Khalid Aziz. Il convient aussi de ne pas s’énerver… et de ne pas tomber dans la facilité pour redorer son blason, comme avancer masqué ou infiltrer des forums. "Même si, sur le coup, cela peut réussir, rien ne se perd sur l’Internet et les supercheries finissent toujours par être éventées", tranche Didier Heiderich.
Pour les grands groupes, Internet a marqué la fin de la possibilité de contrôler complètement une situation de crise. "Si la plupart des groupes commencent à comprendre l’importance de la communication sur les réseaux, pour les PDG, ce n’est pas forcément la même histoire, juge encore Khalid Aziz. Ils sont généralement du type 'mâle dominant' habitués à s’en sortir indemne en toute circonstance."
Difficile donc, pour eux, d’accepter qu’ils ne pourront au mieux qu’influencer une opinion. Et qu’il existe des situations comme la marée noire ou le raid israélien qu’on "ne peut tout simplement pas repeindre en rose", assure Aziz.