logo

Union européenne : que faut-il attendre de la présidence hongroise de Viktor Orban ?
Tandis que l'extrême droite progresse en Europe, la Hongrie de Viktor Orban, populiste et proche du Kremlin, doit assumer la présidence de l'UE à partir du 1er juillet. Une perspective qui inquiète à Bruxelles tant les sujets de contentieux s'accumulent avec Budapest. Viktor Orban sera-t-il fidèle à sa réputation de trublion des Vingt-sept lors de ces six prochains mois ou jouera-t-il au contraire le rôle du bon élève ? Éléments de réponse.

C'est une mécanique immuable dans l'Union européenne. Chaque semestre, un pays membre prend la tête du Conseil européen. Mais cette année, cet agenda défini jusqu'en 2030 ne soulève guère d'enthousiasme à Bruxelles. Et pour cause, à partir du 1er juillet c'est la Hongrie de Viktor Orban, champion des démocraties dites "illibérales", conciliant avec Moscou et régulièrement accusé de bloquer les décisions des 27 pays membres, qui occupera cette fonction clé.

Cette présidence inquiète car Orban est très proche de la Russie mais aussi de Donald Trump qui pourrait l'emporter en novembre aux États-Unis. Cela pourrait aussi être problématique après les élections en France avec un gouvernement plus à droite", estime Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe.

"Les Européens se méfient un peu de cette présidence parce que le président hongrois a des positions iconoclastes par rapport à la majorité, y compris au sein de la droite radicale", confirme Pascale Joannin, directrice de la fondation Robert Schumann.

La présidence tournante du Conseil des ministres de l'Union européenne permet au pays qui la détient de contrôler l'agenda des réunions des Vingt-sept. De l'Ukraine à l'État de droit en passant par l'immigration, les sujets sur lesquels la Hongrie a recouru au veto ou bloqué une décision pendant des semaines, sont nombreux.

"Environ 40 % des décisions voulues par l'UE sur l'Ukraine sont bloquées", s'exaspérait fin mai à Bruxelles le ministre lituanien des Affaires étrangères Gabrielius Landsbergis.

Soumis à une forte pression de la part de ses partenaires, Budapest a depuis accepté l'ouverture formelle des négociations d'adhésion avec Kiev, dont le coup d'envoi a été donné mardi. Mais l'aide militaire, d'un montant de 6,6 milliards d'euros, est toujours bloquée. Et la future présidence hongroise n'a, semble-t-il, aucune intention de lever son veto.

Une présidence au parfum populiste

Habitué aux provocations et aux coups d'éclat, que réserve Viktor Orban à ses partenaires au cours des six prochains mois ? Le chef d'État hongrois semble avoir déjà choisi d'en faire une tribune politique en adoptant un slogan qui sent le soufre : "Make Europe Great Again" ("Rendre sa grandeur à l'Europe"), une formule empruntée au "Make America Great Again" de Donald Trump, pas vraiment en odeur de sainteté du côté de Bruxelles.

"Ce slogan montre où Orban veut conduire l'UE, vers l'autocratie", s'est insurgé l'eurodéputé allemand Daniel Freund (Verts, écologistes).

"C'est aussi un peu embarrassant pour l'Union européenne qui a quand même déjà un énorme poids économique et géopolitique", souligne Ernst Stetter.

"Notre devise renvoie à l'idée d'une présidence active et de terrain, au fait que nous sommes plus forts ensemble, dans le respect de notre identité", a défendu mardi le ministre hongrois des Affaires européennes Janos Boka.

Autre symbole qui donne le ton de cette présidence hongroise : Budapest va organiser une messe pour l'Europe à Bruxelles. Comme le rapporte Courrier international, la Hongrie a choisi la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de la capitale belge, pour lancer son mandat sous les meilleures auspices le 1er juillet.

Si la forme annonce la couleur, le fond est tout aussi marqué par l'idéologie conservatrice portée par Viktor Orban. La feuille de route dévoilée par Budapest pour sa présidence insiste sur le contrôle des frontières de l'UE, la réduction de l'immigration clandestine ou la protection des agriculteurs face à la concurrence jugée déloyale ou encore la signature d'un nouvel accord sur la compétitivité. Autant dire que les questions liées à l'État de droit ou à l'écologie, deux priorités de la précédente présidence belge, attendront.

"Une capacité de nuisance" limitée

Si le contrôle de l'agenda des Vingt-sept est un pouvoir non négligeable, il n'est pas non plus absolu, ont souligné plusieurs diplomates européens auprès de l'AFP.

"On peut comparer ce rôle à celui d'une personne organisant un dîner, qui veille à ce que les convives se réunissent en harmonie, en étant à même d'exprimer des divergences au cours du repas, avant de se quitter en bons termes et avec un objectif commun en tête", résume le chapitre consacré à la présidence tournante sur le site du Conseil de l'UE.

Cependant, l'influence législative de Budapest devrait être limitée par deux facteurs : les présidences de second semestre sont tronquées par la traditionnelle pause estivale et la Hongrie prend les rênes de l’UE au début de la législature, seulement quelques semaines après les élections européennes.

"L'Union européenne est actuellement dans une phase de transition. Entre les nominations à la Commission et au Parlement, il ne va pas se passer des choses extraordinaires jusqu'en décembre. Donc finalement, cette présidence, que certains redoutent, arrive à un moment assez opportun dans le calendrier et va limiter la capacité de nuisance de Viktor Orban", estime Pascale Joannin.

Par ailleurs, la répartition des "Top Jobs"  -les postes clés de l'UE - qui tient compte du poids de chaque groupe politique, semble déjà avoir été tranchée. Le chancelier allemand Olaf Scholz a confirmé mercredi devant le Bundestag un accord pour reconduire Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission.

"Les Européens ont voulu aller vite sur cette question pour éviter qu'Orban ait la moindre influence sur ces nominations", juge Ersnt Stetter.

Viktor Orban n'a d'ailleurs pas tardé à fustiger un accord qui "va à l'encontre de tous les fondements de l'UE. Au lieu d'inclure, il sème les graines de la division".

The deal that the @EPP made with the leftists and the liberals runs against everything that the EU was based on. Instead of inclusion, it sows the seeds of division. EU top officials should represent every member state, not just leftists and liberals! pic.twitter.com/U8HoWrT7TH

— Orbán Viktor (@PM_ViktorOrban) June 25, 2024

Un dirigeant isolé et sous pression

Malgré la progression enregistrée par l'extrême droite lors des élections européennes, Viktor Orban apparaît affaibli : son parti, Fidesz, bien que vainqueur avec 44,4 % des voix, a enregistré son plus mauvais score aux élections européennes depuis l’adhésion du pays à l'UE en 2004. Face à lui, l'opposant Péter Magyar réalise une percée en remportant sept sièges sur les 21 dont dispose Budapest.

"Viktor Orban est également isolé au sein des droites radicales de l'UE", rappelle Pascale Joannin. "Par exemple, le parti de Giorgia Meloni et le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE), ne sont pas sur les mêmes positions qu'Orban vis à vis de l'Ukraine et de l'immigration. L'Italie, qui est un pays qui accueille beaucoup de migrants, voudrait qu'ils puissent être répartis dans tous les États membres, ce que refuse Viktor Orban".

Au vu du passif entre Budapest et les 27, les pays membres devraient placer la présidence hongroise sous étroite surveillance. "Avant de prendre ses fonctions, Viktor Orban a effectué des visites en Allemagne, en Italie et en France pour voir quelles étaient les lignes rouges à ne pas dépasser", explique Pascale Joannin.

Malgré une marge de manœuvre relativement faible, Viktor Orban, qui aime être au centre de l'attention, devrait tenter d'"imprimer sa marque" pendant ces six mois, selon un diplomate interrogé par l'AFP.

"Ce sera une présidence comme les autres, nous agirons en tant que médiateur impartial", a toutefois promis mardi l'ambassadeur hongrois auprès de l'UE, Balint Odor.

"Les Européens le connaissent depuis très longtemps et savent qu'il aime tenter des coups d'éclat. Cependant, il n'oublie pas qu'il est aussi dépendant de l'Union européenne", note Ernst Stetter. 

Viktor Orban a en effet toutes les raisons de se tenir à carreau et de jouer au moins pendant au moins six mois au bon élève de l'UE. L'exécutif européen gèle actuellement 19 milliards d'euros destinés à son pays dans des procédures liées à des atteintes aux droits des personnes LGBT+, des demandeurs d'asile, ou encore de lutte contre la corruption.