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Julian Assange, un ardent défenseur de la liberté d'informer aux méthodes controversées
Détenu pendant cinq ans au Royaume-Uni, après avoir passé sept années reclus dans une ambassade, le lanceur d'alerte Julian Assange est finalement sorti de sa prison de l'Est londonien lundi à la faveur d'un accord avec la justice américaine. La fin d'une éprouvante saga pour le fondateur de WikiLeaks, dont Washington réclamait l'extradition. Portrait.

Il risquait 175 ans de prison. Poursuivi par la justice américaine pour avoir publié, à partir de 2010, des centaines de milliers de documents confidentiels portant sur les activités militaires et diplomatiques américaines, Julian Assange va finalement pouvoir rentrer chez lui. Le lanceur d'alerte australien, aujourd'hui âgé de 52 ans, a conclu un accord de plaider-coupable avec la justice américaine lui permettant de recouvrer sa liberté.

Le calvaire de Julian Assange "touche enfin à sa fin", s'est félicitée, mardi 25 juin dans un communiqué, sa mère, Christine Assange, soulignant "l'importance et le pouvoir de la diplomatie discrète" qui a abouti à la libération du fondateur de WikiLeaks, détenu jusqu'à lundi dans une prison de haute sécurité de Belmarsh, dans l'est de Londres, et décrit par ses proches comme très diminué physiquement.

De son enfance sur la route à son arrestation rocambolesque par la police britannique en avril 2019, en passant par son séjour prolongé à l'ambassadeur d'Équateur, tous les ingrédients d'un improbable scénario sont réunis. Une vie tumultueuse, qui a valu à ce défenseur acharné de la liberté d'informer autant d'amis que d'ennemis.

Jeune pirate

Tout a pourtant commencé bien loin des tumultes du pouvoir. Le futur hacker est né en 1971 à Townsville, une ville de la côte nord-est de l'Australie. Ses parents se séparent peu après sa naissance. Sa mère Christine est alors une artiste bohème. Quand il a deux ans, elle se marie avec un directeur de théâtre ambulant, Brett Assange, qui reconnaît alors Julian. Comme le rapporte le magazine Maclean's, les camarades de classe du jeune garçon décrivent une famille "atypique" : "C'était très intéressant d'aller chez eux, il se passait toujours quelque chose."

Julian est en effet ballotté au gré des représentations de sa mère, mais également de ses histoires d'amour. En 1979, elle se remarie avec un musicien, membre d'une secte, décrit par Julian Assange comme un "manipulateur et violent psychopathe". Pour lui échapper, Julian et sa mère déménagent régulièrement. Le jeune garçon fréquente ainsi plus d'une trentaine d'établissements scolaires durant son enfance. "Parfois, Assange allait à l'école, d'autres fois, non. Mais il était quand même éduqué dans tout un tas de domaines et il avait une passion pour les ordinateurs", décrit le magazine Maclean's.

L'enfant d'artiste plonge en effet très rapidement dans le monde de l'informatique. Ce qui lui vaudra d'ailleurs ses premiers démêlés avec la justice. À 16 ans, il intègre la communauté des hackers sous le pseudo de Mendax. Il fait alors partie d'un trio appelé "International Subversives" qui s'amuse à infiltrer des ordinateurs un peu partout dans le monde. De la Nasa au Pentagone, tout y passe, mais ces hackers ont un credo : ne pas faire de dégâts ni profiter des informations qu'ils obtiennent.

Ils sont pourtant repérés lorsqu'ils ciblent la compagnie de téléphone Nortel. Julian Assange, qui vient d'avoir 20 ans, et ses camarades sont arrêtés en mai 1991. Il écope finalement d'une amende de 2 300 dollars, mais le mal est fait. Il devient paranoïaque et redoute une nouvelle arrestation.

Dans le même temps, il fait face à des problèmes conjugaux. Sa femme s'enfuit avec leur fils en bas âge, Daniel. C'est alors qu'il entreprend une longue bataille juridique pour en récupérer la garde. Il est à nouveau psychologiquement ébranlé. Dans un entretien accordé au New Yorker, sa mère Christine explique que ses cheveux seraient alors devenus blancs en raison d'un "stress post-traumatique" et qu'il aurait développé une haine farouche des institutions gouvernementales.

"Obsédé par les théories du complot"

Julian Assange n'en oublie pas pour autant sa première passion, l'informatique. En 1999, il lance un site Internet qui deviendra par la suite WikiLeaks. Mais ce n'est qu'en 2010 qu'il se fait connaître du grand public avec la publication de plus de 700 000 documents américains confidentiels. Son but : "libérer la presse" et "démasquer les secrets et abus d'État".

Ceux qui ont côtoyé Assange évoquent son rapport aigu au conspirationnisme, auquel il réfléchit avant même la création de WikiLeaks. Il consacre même deux essais à ce sujet en 2006, "State and Terrorist Conspiracies" et "Conspiracy as Governance". Il y explique notamment comment le peuple peut être manipulé et comment il peut lutter avec Internet contre les conspirations des puissants.

Un brin paranoïaque, selon plusieurs personnalités ayant travaillé avec lui, il est notamment décrit par Bill Keller, directeur de la rédaction du New York Times – avec qui il s'est brouillé – comme "obsédé par les théories du complot".

Si le nom de Julian Assange est synonyme de défense de la liberté d'informer, les autorités américaines le traitent en paria. En 2012, la machine judiciaire se met en branle. Pour échapper à une extradition vers la Suède, où il est accusé de viol, il finit par se réfugier à l'ambassade d'Équateur, à Londres. L'objectif est d'éviter une éventuelle extradition vers les États-Unis, où il encourt alors la peine de mort en raison de la publication des documents secrets américains. L'Équateur, présidé alors par la grande figure de la gauche sud-américaine Rafael Correa, lui répond favorablement et lui accorde l'asile.

Julian Assange a toujours nié ces accusations de viol, se disant victime d'un complot et laissant entendre que ses accusatrices travaillaient pour les États-Unis. Il devra attendre 2019 avant que les poursuites ne soient définitivement abandonnées.

Reclus à l'ambassade équatorienne

Le fondateur de WikiLeaks vit reclus à l'intérieur de l'ambassade durant sept ans. Il se compose un semblant de chez-soi dans une pièce de 18 mètres carrés comprenant un lit, une douche, un ordinateur et un micro-ondes. Cela ne l'empêche pas de recevoir ses nombreux admirateurs, du footballeur Éric Cantona au politicien britannique pro-Brexit Nigel Farage, en passant par la chanteuse Lady Gaga ou encore la comédienne Pamela Anderson, "qui lui apporte des sandwiches vegan".

Surtout, il rencontre en 2011 une nouvelle avocate, Stella Morris, engagée pour rejoindre l'équipe juridique chargée de lutter contre son extradition. Celle qui plus tard deviendra sa femme lui donne deux petits garçons, tous deux nés alors que leur père vit en vase clos.

Julian Assange, un ardent défenseur de la liberté d'informer aux méthodes controversées

En 2016, alors que son fondateur est encore coincé entre quatre murs, l'aventure WikiLeaks continue. Le site déclenche une nouvelle tempête, en pleine campagne présidentielle aux États-Unis, en publiant des milliers d'e-mails volés dans le camp démocrate, qui deviennent vite embarrassants pour la candidate Hillary Clinton. Les services de renseignement américains ont depuis établi que les e-mails avaient été piratés par des hackers russes dans le cadre d'une campagne de Moscou pour peser sur l'élection américaine.

Icône pour certains, "terroriste high-tech" pour d'autres

Ces révélations ont quelque peu terni l'image de l'activiste Assange. En 2011 déjà, les cinq journaux associés à WikiLeaks (dont The New York Times, The Guardian et Le Monde) avaient condamné la méthode de la plateforme, qui rendait publics des télégrammes du département d'État américain non expurgés. Ils avaient estimé que les documents étaient susceptibles de "mettre certaines sources en danger". La critique a également été formulée par le lanceur d'alerte Edward Snowden.

Depuis, seul un noyau dur composé de quelques célébrités, comme l'acteur américain Martin Sheen et l'actrice Pamela Anderson, lui reste fidèle. En France, à l'annonce de son arrestation, plusieurs politiques lui ont apporté leur soutien et ont demandé à ce que la France lui accorde sa protection, à l'image de Jean-Luc Mélenchon, François Asselineau ou encore Florian Philippot.

Le soutien de Jean-Luc Mélenchon

Le traitre @Lenin Moreno se double maintenant du titre de larbin des USA. Après s’en être pris à @MashiRafael, il livre maintenant Julian #Assange à la police.#WikiLeaks

  Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 11 avril 2019

Le 19 février 2024, Julian Assange obtient le prix éthique Anticor, l'association française anticorruption saluant un "combattant de la liberté". "Il s’est battu pour nous, pour notre droit de savoir. Il s’est battu contre la raison d’État. Il s’est battu pour mettre en place un système de renseignement au service de la vérité et des citoyens."

Mais si certains le voient comme une icône, une sorte de "Robin des bois" du côté du peuple, d'autres le considèrent comme une menace, voire un agent au service de puissances étrangères, à l'instar du vice-président américain Joe Biden qui, dix ans avant son élection à la présidence des États-Unis, le qualifie de "terroriste high-tech". "Selon le vice-président nord-américain, la vérité sur les États-Unis, c'est du terrorisme", rétorque alors Julian Assange.

Dans le camp de ses détracteurs, il s'agit depuis des années de briser son image de "cyberwarrior". En avril 2019, Theresa May, alors Première ministre britannique, insiste sur le fait que "personne n'est au-dessus des lois". Pour son chef de la diplomatie, Jeremy Hunt, Julian Assange "a fui la vérité pendant des années" et il "n'est pas un héros".

"Personne n'est au-dessus des lois", selon le chef de la diplomatie britannique Jeremy Hunt

Julian Assange is no hero and no one is above the law. He has hidden from the truth for years. Thank you Ecuador and President @Lenin Moreno for your cooperation with @foreignoffice to ensure Assange faces justice

  Jeremy Hunt (@Jeremy_Hunt) 11 avril 2019

Fin 2022, alors que les juges britanniques venaient d'autoriser formellement son extradition vers les États-Unis, les cinq journaux associés à WikiLeaks qui avaient jadis condamné les méthodes de la plateforme avaient appelé le gouvernement américain à abandonner les poursuites contre Julian Assange, car "publier n'est pas un délit".

L'Australien avait obtenu le 20 mai dernier un sursis : la possibilité d'un nouvel appel. Cet ultime recours devait être examiné par la justice britannique en juillet. Avant cet accord avec la justice américaine, point final de cette saga judiciaire permettant à Julian Assange de finalement rejoindre son Australie natale.