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Proxénétisme, avortements forcés et rites vaudous : plongée dans un "cult" nigérian à Paris
Sept Nigérians sont jugés à partir de lundi par la cour criminelle de Paris pour traite des êtres humains et proxénétisme en bande organisée. Il s'agit de l'un des rares dossiers sur les "cults", ces gangs criminels nigérians qui prospèrent de Paris à Naples, en passant par Marseille.

Ils sont discrets mais redoutables. Depuis plusieurs années, les "cults", sortes de mafias nigérianes, prospèrent en Europe de l'Ouest, et notamment en France, où plusieurs succursales opèrent, principalement dans la traite d'êtres humains ou le trafic de stupéfiants. Sept hommes comparaissent à partir de lundi 24 juin et jusqu'au 9 juillet devant la cour criminelle départementale de Paris, accusés d'avoir monté un réseau de proxénétisme de femmes nigérianes en région parisienne.

Selon l'ordonnance de mise en accusation consultée par France 24, ils appartiendraient à la confraternité "Maphite", issue de Benin City, et dont le chef international Don Cesar a été incarcéré en 2020 en Italie pour organisation criminelle.

Proxénétisme, avortements forcés et rites vaudous : plongée dans un "cult" nigérian à Paris

"En Europe, deux groupes 'cultist' sont particulièrement implantés : les Eiye (Supreme Eiye confraternity) et les Aye (Black axe). Ils sont spécialement présents en Espagne et en Italie où ils sont impliqués dans le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains", lit-on dans le document.

Violences et avortements forcées

À Paris, les sept membres de Maphite qui s'apprêtent à être jugés ont créé une succursale intitulée "Famille Tour Eiffel". Ces hommes sont pour la plupart originaires de l'État d'Edo, au sud du Nigeria, qui fournit l'immense majorité des prostituées du pays. En 2021, en France, 40 % des victimes de traite d'êtres humains étaient originaires du Nigeria, et ce chiffre grimpait à 63 % lorsqu'on parle d'exploitation sexuelle, selon un rapport ministériel.

Les faits de proxénétisme remontent entre janvier 2019 et juin 2021. "Chacun des protagonistes avait à sa disposition plusieurs jeunes femmes, se livrant à la prostitution en France, notamment dans le secteur du Bois de Vincennes ou de Château Rouge, mais également à l'étranger", estiment les services d'enquête. L'une des victimes affirme par exemple avoir rapporté entre 11 000 et 12 000 euros à son proxénète, Ehis O., entre 2018 et 2019. Une autre, Blessing O., estime avoir remis entre 6 000 et 7 000 euros sur neuf mois à son souteneur.

Quand les passes ne sont pas assez fructueuses ou nombreuses, les membres du cult n'hésitent pas à faire usage de la violence. Blessing O. "était battue, notamment lorsqu'elle ne ramenait pas assez d'argent, résume l'ordonnance. Les menaces et les violences pouvaient aisément s'étendre à leurs familles restées au pays, ce dont il était d'ailleurs fait mention dans les interceptions téléphoniques."

Celles qui ont le malheur de tomber enceinte sont également contraintes d'avorter. Parfois, on leur tend une pilule de Cytotec, un médicament qui provoque de violentes contractions, retiré du marché en raison de ses effets indésirables graves. D'autres sont frappées au niveau du bas ventre. L'une des plaignante dénonce ainsi pas moins de dix avortements forcés, dont cinq avec des coups. "Toutes ces femmes ont subi des violences, des coups, des avortements forcés. Elles ont tellement été réifiées, qu'elles ont fini par se laisser faire [...]. Mais ma cliente est pleine de courage, elle tient à venir témoigner au procès et à dénoncer ces agissements", réagit Me Catherine Daoud, avocate de l'une des premières plaignantes.

Emprise psychologique du "juju"

Un acte d'autant plus courageux que les prostituées nigérianes ont signé un pacte, le "juju", qui leur interdit de désobéir ou de dénoncer ceux qui les ont aidé à rallier l'Europe, sous peine de malédiction. Cette cérémonie spirituelle est ritualisée, avec un prêtre, le "Native doctor" et inclue parfois des pratiques violentes allant de la scarification au viol. "En général, on sacrifie un coq, parfois elles doivent en manger le cœur encore palpitant. On leur demande ensuite de donner des poils pubiens ou des aisselles, ou une culotte avec du sang menstruel. Il y a quelque chose de l'emprise psychologique très forte", raconte Me Catherine Daoud, qui a elle-même vécu au Nigeria.

Les femmes contractent ensuite une dette d'environ 30 000 euros, qu'elles doivent rembourser auprès d'une "Mama" ou "Madam", sorte de gestionnaire de la prostitution qui est souvent elle-même une ancienne prostituée. La plupart sont passées par l'enfer des prisons libyennes, avant de traverser la Méditerranée en canot et d'être secourues par les garde-côtes italiens. En 2016, au plus fort de la crise migratoire, plus de 40 000 Nigérians ont ainsi débarqué en Italie, devenant la première nationalité représentée selon Frontex, l'agence européenne en charge des frontières. La tendance a depuis changé, puisqu'ils n'étaient plus dans le top 10 en 2023.

Les procès se multiplient

Avec l'augmentation de la prostitution nigériane à Paris, Lyon, Bordeaux ou encore Marseille, les autorités judiciaires françaises ont commencé à s'intéresser de près aux "cults", là où l'Italie les considèrent désormais comme des organisations mafieuses, au même titre que la Camorra. En 2018, 15 personnes, dont 11 femmes, ont été condamnées par le tribunal correctionnel de Paris pour proxénétisme aggravé et traite des êtres humains dans la cadre d'un réseau de prostitution nigériane.

En 2020, un proxénète a été condamné aux assises de Paris à 18 ans de prison pour traite des êtres humains et proxénétisme aggravé sur mineures. À Marseille, où les cults ont pris une inquiétante dimension, 15 prévenus du gang des Arrow Baga ont été reconnus coupables d’association de malfaiteurs en décembre 2023. Ils ont écopé de peines allant jusqu'à 10 ans de prison ferme.

Interrogés à de multiples reprises par la juge d'instruction, les sept hommes mis en cause dans l'affaire "Maphite" rejettent la plupart des accusations, même s'ils ont admis qu'ils savaient que ces jeunes femmes se prostituaient. Bien que les enquêteurs aient mis la main, lors des perquisitions, sur des vêtements paramilitaires verts – typiques des Maphite –, plusieurs contestent leur appartenance au cult.

L'un des mis en examen compare ainsi l'organisation à une "association étudiante pour défendre les droits des étudiants au Nigeria et en Europe qui servait de lieu de rencontres festives et d'entraide". Si les cults sont bien nés dans les universités nigérianes dans les années 1970, ils se retrouvent désormais sur les bancs des tribunaux français.